[INSPIRATION] VÉRONE MANKOU, LE « STEVE JOBS » CONGOLAIS

Il faut mettre des visages sur le boom économique à l’oeuvre sur le continent africain. Le Congolais Vérone Mankou, vingt-sept ans, fait partie de cette génération d’entrepreneurs pour lesquels tout semble possible.

Verone

Vérone Mankou est l’un des jeunes voltigeurs de cette Afrique désormais en marche. Il a vingt-sept ans. Il est le président-fondateur de la société congolaise VMK (« Vou MouKa », soit « Réveillez-vous », en dialecte kikongo, version SMS), créée en 2009. Une sorte d’ovni du secteur des télécoms dans son pays. Il est aussi le père de la première « tablette » africaine, la Way-C, lancée en décembre 2011, du premier smartphone africain, Elikia (« Espoir » en lingala, la langue nationale du Congo), mis sur le marché fin 2012, et de l’Elikia Mokè, un portable polyvalent plus usuel, sorti en septembre dernier et déjà le plus acheté au Congo, selon son concepteur. Des produits qui trahissent une obsession et son grand dessein : mettre à la disposition du plus grand nombre d’Africains des outils de communication de qualité, capables de rivaliser avec les grandes marques, mais à un prix abordable. « Il ne suffit pas de proposer de bons produits, encore faut-il qu’ils soient accessibles », explique Vérone Mankou. Dans un monde où le principe des terminaux à bas prix liés à des abonnements ou forfaits proposés par les opérateurs téléphoniques n’existe pas, il fallait des produits « secs » attractifs : la Way-C de 7 pouces fonctionnant avec Androïd 2.3 coûte moins de 200 euros, l’Elikia, qui utilise une version personnalisée du logiciel libre Androïd le plus utilisé au monde, 115 euros, et le petit Mokè, 38 euros. Prolongement logique de cette démarche, celui qui doit son étonnant prénom à la passion d’amis de ses parents pour Shakespeare a pour souci constant de mettre en avant sur son VMK Market les applications mises au point par des développeurs africains… au service des Africains.

Ce missionnaire en guerre contre la fracture numérique a vite été repéré sur le continent. Dès 2011, il recevait à Abidjan le prestigieux Africa Telecom People Award pour « la meilleure initiative privée ». En 2013, « Forbes » le classait dans le Top 30 des « meilleurs entrepreneurs africains de moins de 30 ans », et l’hebdomadaire économique et financier « Les Afriques » le plaçait dans son Top 12 des « hommes de l’année en Afrique ». Des projets plein la tête, le « Steve Jobs africain » ne va visiblement pas s’arrêter en si bon chemin.

Celui qui, fils d’une institutrice et d’un ingénieur du pétrole, s’est lancé à vingt ans dans la conception d’un ordinateur portable à 200 euros souligne pourtant « ne pas avoir suivi un long cursus, titulaire d’un simple BTS en maintenance de réseaux à Pointe-Noire [la capitale économique]. Je n’ai pas eu la chance de continuer, car j’ai été embauché immédiatement. » Ce qui ne l’empêchera pas d’entrer comme architecte réseau chez un fournisseur d’accès Internet, de créer un moteur de recherche et une petite start-upqu’il revendra à un Français pour 15.000 euros, ni d’entrer rapidement en 2008, parallèlement à ses activités informatiques, comme conseiller en charge des TIC (technologies de l’information et de la communication) au cabinet d’un ministre des PTT et des Nouvelles Technologies alerté par la vitalité et la créativité du jeune technicien.« Il a un charisme, une force de persuasion, et vraiment les pieds sur terre malgré sa jeunesse », apprécie le ministre Thierry Lézin Mongala. L’idée du laptop low cost tournera court. « J’ai travaillé six mois dessus mais je n’ai pas réussi », trop complexe et trop cher, reconnaît Vérone Mankou. La présentation télévisée de l’iPhone par Steve Jobs le sauvera : « Pour le monde, c’était une révolution, pour moi, une révélation », dira-t-il, en prenant conscience que « l’ordinateur sans touches et sans souris, c’est l’avenir ».

Entreprises asiatiques en soutien

Dans une Afrique en plein boom démographique, économique et social, il se remet au travail. Pour mettre au point une sorte de grand iPhone : une tablette tactile. Il y consacrera beaucoup de temps et 130.000 euros en recherche et développement. « Je n’avais qu’environ 10 % des connaissances nécessaires au début », ironise ce passionné de technologie depuis la prime enfance. « J’ai acheté des livres sur Internet et multiplié les voyages en Asie – les allers-retours en Chine en particulier – et les courriers par DHL entre 2007 et 2009. Il est impossible de faire ce travail tout seul et le Congo manque dramatiquement de ressources humaines. Une dizaine d’entreprises, toutes asiatiques, sont intervenues sur mon projet. » Les banques l’éconduiront plus ou moins poliment : trop jeune, et « un peu fou » !… « J’ai pu m’autofinancer jusqu’au prototype ; après, je n’avais plus d’argent », explique-t-il, mais le gouvernement congolais, pour qui il n’est pas vraiment un inconnu, lui apportera opportunément une aide de 700.000 dollars. Conçue à Brazzaville, la tablette sera fabriquée à Shenzhen – comme le sont les produits d’Apple – pour des raisons de coût et de qualité de main-d’oeuvre. A l’arrivée, la Way-C, un « bon produit » deux fois plus puissant que la première version de l’iPad, selon les spécialistes, fait grand bruit lors de son lancement en décembre 2011. La route était ouverte. « C’est en travaillant sur la tablette que je me suis rendu compte que concevoir un smartphone n’était qu’une différence de taille », explique Vérone Mankou : Elikia naîtra ainsi un an plus tard (90.000 euros d’investissements) et le petit Mokè à la fin de l’été dernier.

Aujourd’hui, VMK a pris son allure de croisière, même si la société qui comptera une cinquantaine de collaborateurs à Brazzaville, en ce début 2014, a visiblement pris un peu de retard sur le développement imaginé par Vérone Mankou, qui comptait vendre 10.000 tablettes et 50.000 smartphones par an. La distribution internationale se déploie plus lentement que prévu. « Notre chiffre d’affaires était de 0 en 2009. Il est passé à 50.000 dollars en 2010, 300.000 en 2011, 500.000 en 2012 et vraisemblablement 700.000 en 2013 – mais on a manqué de produits ! En 2014, nous allons tenter un coup de force pour mobiliser 1 million de dollars qui devrait nous permettre de multiplier par 5 notre chiffre d’affaires, à 3,5 millions », affirme le patron de VMK.

Malgré les goulots d’étranglement des infrastructures de la téléphonie et d’Internet, l’environnement global du métier est positif. Déjà rodé au saut technologique du paiement et au transfert d’argent par mobile, sollicité par les e-services naissants, fort d’une classe moyenne de plus de 300 millions de personnes et d’une classe « intermédiaire » du même ordre, le marché africain de la téléphonie mobile croît au rythme record de 20 % par an. Une « explosion » et un « événement majeur », rappelle le cabinet de conseil Bearing Point. Vérone Mankou souhaite évidemment accompagner ce mouvement… en contrôlant toute la chaîne sur le modèle Apple, de la conception à la distribution. « Vérone Mankou construit quelque chose », juge un responsable financier régional. Sur ce marché de masse, « il va permettre d’équilibrer l’offre et la demande en matière d’infrastructures en apportant du volume », estime Luc Missidimbazi, coordonnateur du projet CAB (Central Africa Backbone) Congo.

Le made in Congo pour bientôt

Son plan de vol est ambitieux. Sur le plan commercial, VMK va développer dès cette année des VMK Stores en joint-venture en RDCongo, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Rwanda (dans 8 villes au total), puis dans 5 pays africains par an à partir de 2015. Sur le plan industriel, 2014 va être l’année du big bang avec le début de la relocalisation de la production à Brazzaville, qui commencera dans un premier temps par le Mokè. L’aménagement d’un bâtiment dans le quartier de Mpila, près du port sur le fleuve Congo, qui regroupera bureaux et chaînes de montage, sera terminé à la fin janvier. Les machines, qui doivent être financées par le gouvernement, arriveront en mars pour une mise en route du made in Congo en juin. Explication de ce qui est aujourd’hui possible et qui ne l’était pas auparavant : la main-d’oeuvre congolaise est désormais 15 % moins chère qu’en Chine, et, surtout, les droits de douane dissuasifs sur les importations de composants devraient subir un coup de rabot : « On va essayer de desserrer les contraintes fiscales sur les intrants. C’est acquis sur le plan politique », confie-t-on en haut lieu à Brazzaville. Reste le problème des ressources humaines et des qualifications. « Honnêtement, il va être difficile de trouver des cadres ici. Ou alors ils sont hors de prix », reconnaît Vérone Mankou, qui tente une parade avec la création de la VMK Académie. Comme Elf l’a fait à son époque pour son père, « nous irons chercher les talents dans les écoles, et nous les formerons nous-mêmes », explique-t-il.

Le futur industriel diversifie par ailleurs encore son offre. Il a mis au point une tablette éducative, également valable pour l’agriculture et la santé, « parmi les moins chères du monde » (60 euros), dont Orange a déjà commandé 150 exemplaires pour une action en faveur d’écoliers de Niamey au Niger. Il annonce par ailleurs pour 2015 le projet « de mettre la technologie informatique dans tous les foyers en Afrique pour moins de 100 euros », et enfin une « surprise, une nouveauté totale » pour juin prochain. VMK ne peut, en effet, se contenter des terminaux téléphoniques à bas coût. Depuis ses innovations, la concurrence s’est déchaînée en matière de mobiles low cost en direction des pays émergents : le géant chinois du smartphone, associé à Microsoft, a lancé son « Huawei 4 Africa » ; Samsung ses terminaux « Built for Africa » ; Motorola son Moto G à destination des émergents ; même Apple s’y est mis avec son iPhone 5 C… « Les prix des terminaux sont en train de s’effondrer », observe Marc Rennard, directeur exécutif de la zone Afrique, Moyen-Orient et Asie chez Orange.

Jeune homme simple aux allures de bon élève, Vérone Mankou est déjà une figure respectée au Congo. Par les Congolais d’abord, fiers d’utiliser ses productions, mais surtout sensibles à sa personnalité et sa démarche. Atypique, « il apparaît comme un modèle dans les universités, un motif d’espérance pour les jeunes », explique un journaliste. Toujours à court d’argent dans ce qui ressemble encore à une start-up, il tient ses distances : « J’ai des sollicitations, des offres de rachat. Mais je ne veux pas de buzz, tout ceci n’est que du branding et n’a rien à voir avec l’âme de mon projet. »Il voit grand, à l’échelle du continent, mais sans précipitation. « Je suis jeune, j’ai le temps », dit-il. Ce qui ne l’empêche pas de rêver : « Si VMK entre un jour en Bourse, ce sera sur le Nasdaq. Ce sera la première entreprise congolaise à le faire. Pourquoi pas autour du 10e anniversaire de la société, en 2019 ? »

Source: Les Echos.fr

http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0203235731968-verone-mankou-le-steve-jobs-congolais-644042.php?

 

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  1. Les Africains, ces sauvages qui ne connaissent pas Facebook – Les Cinquante Nuances de Dave dit :

    […] Vérone Mankou est l’un des jeunes voltigeurs de cette Afrique désormais en marche. Il a vingt-se… […]