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[SOCIÉTÉ] JAPON : CES « GAIJIN » AFRICAINS QUI RÉUSSISSENT

Ils viennent du Burkina, du Niger ou du Sénégal. Au Japon, un pays pas forcément très accueillant, ils ne sont que des « gaijin », des étrangers. Pourtant, certains s’en tirent professionnellement très bien.

«En Europe et en Afrique, les gens travaillent pour vivre. Ici, ils vivent pour travailler. » Sur le stand du Niger à la Foire africaine de Tokyo (30 mai-3 juin), Illo Kaza Ibrahim sourit. Il n’est pas mécontent de son aphorisme et sait que tous les Africains installés au Japon partagent son analyse. D’ailleurs, autour de lui, chacun opine. Ceux qui sont venus du pays pour l’occasion ne cachent pas leur étonnement. Voire leur effarement.

À bientôt 30 ans, ce jeune entrepreneur installé ici depuis quatre ans est à la tête de Kaza Worldwide Trading Japan, une petite société d’import-export qui emploie huit salariés, dont trois au Niger. « Ce n’est pas seulement une image, enchaîne le Nigérien. Au travail, les coups de fil personnels sont strictement interdits. Huit heures de travail, c’est huit heures de concentration totale, ni plus ni moins. »

Quatre-vingts pour cent de ces migrants africains sont des hommes, souvent venus pour suivre des études universitaires et autorisés à rester après avoir trouvé un emploi. D’autres, plus chanceux, sont arrivés dans le sillage de diplomates. C’est le cas d’Émile Ilboudo, un chef cuisinier burkinabè aujourd’hui âgé de 52 ans. Assis dans son restaurant, tablier au cou, il raconte comment, après des études de cuisine, il a, au début des années 1990, quitté son pays pour Abidjan, où il a ouvert un restaurant. « Après la mort d’Houphouët-Boigny, le climat des affaires s’est détérioré, raconte-t-il. Je voulais partir, aller loin, mais pas en France, comme tout le monde. »

Un de ses clients le met alors en contact avec un ami qui vient d’être nommé ambassadeur à Tokyo et cherche un cuisinier. « J’y suis allé pour voir, juste voir », dit-il. Et c’est ainsi que, en 1996, il débarque à Tokyo. Il n’en est jamais reparti et vient même d’y ouvrir son propre restaurant, à Shibuya, un quartier branché. Il y sert, entre autres, du tô sauce gombo, une spécialité burkinabè, de l’atiéké façon ivoirienne et même du tiebou dien à la sénégalaise. Le nom de l’établissement ? Yinega, inspiré du nom de la légendaire princesse mossie. « On est burkinabè ou on ne l’est pas ! »

Les africains au japon : des self-made-men

Le parcours de Mansour Diagne, 49 ans, est plus improbable encore. Avec son 1,90 m – pour 75 kg – et sa peau d’ébène, ce Sénégalais ne passe pas inaperçu. Il doit d’ailleurs beaucoup à son physique. À son arrivée au Japon, il y a plus de vingt ans, il a enchaîné les petits boulots, grâce notamment à un oncle employé à l’ambassade du Sénégal : professeur de langue (bien qu’autodidacte, il parle arabe, anglais, français et wolof), peintre en bâtiment… Il en profite pour passer un diplôme de japonais. « Un jour, se souvient-il, une femme m’a abordé dans la rue et m’a donné rendez-vous dans son agence de mannequins. J’ai accepté et j’ai été choisi pour figurer dans des spots publicitaires et participer à des émissions à la télévision. » Quelques années plus tard, il codirige la société et organise à son tour des castings. En 2008, il a même lancé sa propre agence de mannequins étrangers, baptisée Echoes. Diagne, qui est aussi traducteur pour la NHK, la télévision nationale japonaise, le reconnaît : il travaille énormément. Mais, Dieu merci, il s’en « sort très bien ». Assez, en tout cas, pour avoir une page Wikipédia à son nom – en japonais, bien sûr…

« Les Africains du Japon sont souvent des self-made-men. Après avoir été salariés d’entreprises locales, ils ont monté leur propre business ou exercent des professions libérales », explique François Pendjet Bombila, ambassadeur du Gabon au Japon. Un point de vue qu’Illo, notre ami nigérien, trouve un peu optimiste : « J’ai travaillé dans une entreprise où tous les employés étaient japonais, et ça n’a pas été facile. La langue est certes un handicap, mais ce n’est rien en comparaison des différences de culture et de mentalité. C’est aussi pour cela que j’ai décidé de prendre mon indépendance. » Émile le Burkinabè renchérit : « De nombreuses sociétés et professions, notamment dans l’immobilier, restent fermées aux étrangers. De nombreux propriétaires refusent de louer à des étrangers, surtout s’ils sont noirs. J’ai donc été obligé d’acheter mon logement. »

Créer une entreprise ou changer de profession, rien n’est facile pour un étranger. Souvent, il lui faut au préalable en informer les autorités, puis changer de statut et demander un autre type de visa. Certains choisissent la voie la plus rapide pour obtenir le statut de résident permanent : se marier avec un(e) Japonais(e). On appelle ça : « prendre un parapluie » pour se protéger des intempéries dans ce pays très pluvieux qu’est le Japon…

Mais la grande majorité d’entre eux – Illo, Mansour et Émile compris – ont tout bonnement fait un mariage d’amour. Leur couple, disent-ils, est généralement bien accepté. Tous les trois sont pères d’enfants de nationalité japonaise, puisque ce pays ne reconnaît pas la double nationalité. Mansour Diagne, qui en a quatre, explique : « Quand nous nous promenons avec nos enfants, il n’est pas rare que des passants nous abordent : « Kawaii », disent-ils, ce qui signifie « mignon ». Mais à l’école, c’est plus compliqué pour les Métis, car les enfants sont souvent très durs entre eux. » Pour éviter tout problème, Mansour s’est résolu à scolariser ses enfants dans un établissement international. Un choix à 300 000 yens (2 300 euros) par mois que bien peu peuvent se permettre.

Tous sont néanmoins d’accord sur un point : les choses bougent. « L’image des Africains s’est nettement améliorée, constate l’ambassadeur gabonais. Notamment depuis 2002 et l’organisation de la Coupe du monde de football, lors de laquelle les Japonais ont découvert de nombreux pays, comme le Cameroun. »

Dans un Japon qui peine à se relever de la crise, et qui, de l’aveu même de Shinzo Abe, son Premier ministre, « perd de sa puissance économique » en raison notamment du vieillissement rapide de sa population (près d’un quart des Japonais ont plus de 65 ans), ces immigrés africains ont sans doute un rôle important à jouer. Dans le quotidien The Japan Times du 19 mai, Jeff Kingston, directeur du département Asie de l’université Temple, à Tokyo, estime que « les migrants ont souvent de grandes ambitions et travaillent dur pour les réaliser. En prospérant, ils peuvent contribuer à régénérer l’économie du pays tout entier. »

En outre, lors de la 5e Conférence de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad V), le mois dernier, le Japon a pris des engagements à l’égard de l’Afrique, notamment l’octroi d’une aide (publique et privée) de 3 200 milliards de yens au cours des cinq prochaines années. Et les Africains du Japon sont disposés à jouer un rôle d’intermédiaire entre leur terre d’accueil et leur terre d’origine. Mais, comme le souligne encore Kingston, « mobiliser le potentiel de l’immigration au Japon implique de créer un environnement plus hospitalier et attrayant – et ça, ce n’est pas encore gagné ».

En attendant, Mansour, Émile et Illo ont bien l’intention de retourner un jour en Afrique pour « transmettre ce qu’ils ont appris ». Et, pourquoi pas, donner à d’autres l’envie d’entreprendre à leur tour une odyssée nippone.

Source : Jeune Afrique

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