Comment inciter les hommes noirs américains à entrer dans le professorat ? La question taraude aussi bien le gouvernement que la communauté afro-américaine, car les garçons ont besoin de « role models » pour réussir à l’école. Faudrait-il les payer plus que les femmes ?
Hommes noirs : moins de 2% des profs
Les chiffres sont implacables :
L’école publique (de 5 à 18 ans aux Etats-Unis) emploie 4,8 millions d’enseignants :
moins de 2% sont des hommes noirs ;
63,4% sont des femmes blanches ;
7,08% sont des femmes noires ;
le reste des postes allant aux hommes blancs et aux autres minorités, notamment latinos, hommes et femmes confondus.
Les hommes noirs représentent 6% de la population adulte américaine. Et parmi les hommes noirs âgés de plus de 25 ans, seulement 16% ont un diplôme universitaire, indispensable pour enseigner. A comparer aux 30% de Blancs et 70% d’Asiatiques dans la même tranche d’âge.
Les très rares profs hommes noirs enseignent peu en école primaire, préférant le lycée où les salaires sont plus élevés. Dans tous les cas, ils ne restent jamais longtemps dans les salles de classe. La plupart grimpent vite l’échelle pour devenir proviseurs, administrateurs ou conseillers d’éducation.
La moitié des profs hommes noirs démissionnent avant l’âge de la retraite, contre seulement 30% de leurs collègues, toutes catégories confondues.
Les rapports sociaux déterminés par « les races »
Mais pourquoi diable la couleur des profs est-elle importante, se demande forcément le Français moyen républicain ? Parce qu’on est aux Etats-Unis, où les rapports sociaux sont déterminés autant par les classes sociales que par les « races » comme on dit ici – l’appartenance communautaire.
Les communautés elles-mêmes sont friandes de statistiques et d’analyses ethniques, d’observations de la société passées au tamis de la couleur des peaux.
Ainsi, une étude publiée en 2004 par la Harvard University Kennedy School of Government montrait que les étudiants blancs et noirs réussissaient d’autant mieux à leurs examens « qu’ils y avaient été préparés par des enseignants de leur propre race ». L’étude prônait le recrutement accru de profs issus des minorités pour accroître les performances scolaires des jeunes appartenant à ces mêmes minorités.
Et pourquoi plutôt des hommes que des femmes ? A cause du phénomène d’identification. Les filles noires n’ont pas de problème pour trouver des modèles féminins, que ce soit dans leur famille ou à l’école. Mais faut-il rappeler que 72% des enfants noirs grandissent dans des familles monoparentales – c’est à dire sans père à la maison –, pour une moyenne américaine de 25% ?
Salaire trop bas pour faire vivre une famille
On comprend dès lors pourquoi les éducateurs sont unanimes : il faut trouver un moyen de convaincre les jeunes Noirs de choisir ce métier.
Dans le district scolaire de Houston, sur 12 829 profs, 1 043 seulement sont des hommes africains-américains, alors qu’il y a 26,5% d’enfants noirs dans le district.
Les salaires des profs varient de plus ou moins 10 000 dollars selon les Etats. Mais, à titre indicatif, un prof débutant à Houston gagne 45 000 dollars bruts par an (35 000 euros), desquels il faut déduire le coût d’une assurance médicale familiale, soit environ 15 000 dollars (11 600 euros) après que l’employeur a payé sa part. L’article cite un enseignant qui a démissionné au bout de deux ans pour entrer dans le monde de l’entreprise :
« Pour un homme qui veut faire vivre une famille, ce n’est tout simplement pas suffisant. J’aurais adoré enseigner en primaire, mais j’avais besoin de plus d’argent pour ma famille. Alors j’ai pris un poste en lycée parce que ça me donnait la possibilité de gagner un supplément en étant entraineur sportif en plus. Finalement, j’ai dû chercher quelque chose de plus lucratif. »
La lutte pour les droits civiques a détourné les hommes du métier
Dans le même article, un autre estime que le mouvement des Droits civiques a probablement contribué à détourner les hommes noirs de ce métier :
« Il y a trente ans, les Noirs qui avaient atteint un certain niveau d’étude se dirigeaient tout naturellement vers l’enseignement. Mettons qu’ils étaient diplômés en science, en maths ou en littérature : comme ils n’avaient le droit de faire carrière pratiquement nulle part, ils enseignaient leur matière à d’autres.
Quand les Noirs ont enfin été autorisés à sortir de leurs ghettos et à habiter où ils voulaient, leurs fils ont cherché d’autres voies. Leur motivation principale était autant l’argent que le désir d’échapper aux activités traditionnelles des hommes de couleur.
Les générations précédentes voyaient davantage l’instruction comme un moyen de s’élever socialement. Aujourd’hui, les jeunes sont plus tournés vers l’argent, ils veulent leur part du “rêve américain”. »
En février 2011, le ministre de l’Education a inauguré un programme national destiné à recruter et former 80 000 profs hommes noirs d’ici 2015. Il admettait que cela n’allait pas être facile :
« L’éducation est l’outil le plus efficace pour lutter contre les inégalités aux Etats-Unis. C’est le combat pour les droits civiques de notre génération. »
Envoyer plus de jeunes noirs à l’université
Mais comme le reconnaissent tous les acteurs concernés, il y a du boulot ! En mai dernier, à la Midwest Black Male Education Conference de Chicago, Ivory A. Toldson, professeur dans le département de psychologie de Howard University (une université historique noire de Washington) prédisait :
« Il faut une maîtrise pour devenir enseignant, ce qui implique que le nombre de jeunes hommes noirs atteignant ce niveau d’étude va devoir sérieusement augmenter si on veut avoir des professeurs mâles noirs dans nos écoles. »
Pour arriver à ce premier résultat, plusieurs programmes d’incitations financières existent aux Etats-Unis. Le plus connu s’appelle Call Me MISTER (pour Mentors Instructing Students Toward Effective Role Models, des mentors enseignent aux élèves par l’exemple), il dispense bourses d’étude et « entrainement au leadership » à des jeunes hommes noirs.
Il faut aussi accumuler et faire circuler les données démontrant que les enfants réussissent d’autant mieux que leurs profs sont issus de leurs propres communautés, histoire de convaincre les conseils d’administrations des milliers de districts scolaires des 50 Etats.
Source : rue89
Commentaires
commentaires