L’AFRIQUE DÉCIDÉ À QUITTER LE FRANC CFA

Pour la première fois depuis les indépendances des manifestations publiques dans plusieurs pays d’Afrique et en région parisienne ont exigées la disparition du Franc CFA, monnaie imposée à 14 pays par le colonialisme français. Portées par des mouvements de jeunes ces mobilisations marquent l’entrée en scène d’une nouvelle génération militante africaine.

Ce n’est pas un hasard que ce soit le Franc CFA qui soit pris comme cible dans l’arsenal de mise en dépendance qu’impose le colonisateur dans la décennie 60. Toutes les autres zones monétaires coloniales ont, en effet, pris fin avec la dissolution de la dernière, la Zone sterling, en 1979. Cette monnaie présentée par l’État français comme un symbole de la coopération apparaît de plus en plus pour ce qu’elle est : un symbole provocateur d’une  dépendance coloniale qui outre le CFA possède d’autres outils : la dette, l’Accord de Partenariat Économiques (APE), les accords de défense, la francophonie. « Tandis que les autres monnaies africaines symbolisent la rupture avec la colonisation et l’indépendance acquise au début des années 1960 par leur nom (naira au Nigeria, cedi au Ghana, dinar en Afrique du Nord), la monnaie qui circule de Dakar à Yaoundé en passant par Abidjan, Lomé, Bamako et Malabo continue de faire référence au colonisateur» résume le juriste  Yann Bedzigui.

La zone franc et le franc CFA, un système hérité de la colonisation

La zone franc et sa monnaie le franc CFA constituent le seul système monétaire colonial au monde à avoir survécu à la décolonisation. La mise en place progressive de ce système est le résultat de choix stratégiques de la France mettant l’entreprise de colonisation au service des intérêts économiques français. Les monnaies africaines sont supprimées et des banques privées appartenant aux colons mais contrôlées par la France sont créées.

La puissance coloniale exploite les matières premières des colonies pour alimenter l’industrie française et utilise les colonies comme débouchés pour les produits français. Suite à la crise de 1929, la France accentue son repli sur l’empire colonial pour protéger son économie et son commerce extérieur. La création de la zone franc en 1939 offre le moyen de pérenniser cette stratégie : les échanges avec des pays extérieurs à la zone franc sont interdits, ce qui cimente les liens économiques et commerciaux entre la France et son empire. La monnaie franc CFA (Colonies Françaises d’Afrique) est quant à elle créée en 1945 afin que la dévaluation du franc

français au sortir de la guerre n’affecte pas les marchés des possessions africaines de la France. Celle-ci conserve ainsi le leadership dans le commerce extérieur des colonies et réaffirme sa suprématie sur son empire.

Une contestation qui monte

Le fait que des chefs d’État africain (comme Allassane Ouattara de Côte d’Ivoire, Macky Sall du Sénégal ou Patric Talon du Bénin) montent au créneau pour défendre la monnaie coloniale est significatif de la montée d’une contestation du Franc CFA. Pendant des décennies, en effet, ces prises de position étaient inutiles tant cette monnaie apparaissait incontestable compte-tenu du rapport des force idéologiques en Afrique. D’autres chefs d’État sont contraints de faire écho de cette prise de conscience grandissante. Ainsi en est-il le 11 août 2015 avec le président tchadien, Idriss Deby qui déclare :

« Il y a aujourd’hui le FCFA qui est garanti par le trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer. L’Afrique, la sous-région, les pays africains francophones aussi, ce que j’appelle la coopération monétaire avec la France, il y a des clauses qui sont dépassées. Ces clauses-là, il faudra les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et dans l’intérêt aussi de la France. Ces clauses tirent l’économie de l’Afrique vers le bas, ces clauses ne permettront pas de se développer avec cette monnaie-là ».

De manière significative cette déclaration est faite lors de la célébration du 55ème anniversaire de l’indépendance du Tchad. Le président Burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré va dans la même direction en déclarant au 52ème sommet de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) en décembre 2017 que « « L’option a été toujours maintenue que 2020 doit être la date de la création de la monnaie de la Cedeao».

Si ces prises de position de chefs d’Etat restent minoritaires et isolées, elles s’inscrivent dans un contexte de prise de parole dénonciatrice plus large dans lequel d’anciens ministres, d’anciens responsables de la CEDEAO et des universitaires s’expriment de plus en plus fréquemment pour exiger soit la sortie du F CFA et la création d’une monnaie africaine, soit une réforme de la zone Franc. Pour ne prendre qu’un exemple prenons celui du Bissau-Guinéen Carlos Lopes,  secrétaire exécutif de la commission économique de l’ONU pour l’Afrique qui déclare en 2016 que « Le franc CFA est un mécanisme désuet qui devrait être revu. Aucun pays au monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis trente ans. Cela existe dans la zone Franc. Il y a quelque chose qui cloche ».

Cette relative et encore modeste libération de la parole de responsables politiques et économiques n’est elle-même que le reflet des manifestations publiques militantes qui se sont récemment développées dans plusieurs pays de la zone Franc. Le débat est posé par la rue de manière beaucoup plus radicale par une nouvelle génération militante, celle de la dévaluation.

En témoigne le nom choisi au Sénégal par le collectif prenant en charge le combat contre le Franc CFA : « France dégage ». Un de ses leaders, le jeune Guy Marius Sagna, déclare « Nous avons appelé à un rassemblement aujourd’hui pour essentiellement réaffirmer notre opposition au Franc CFA parce que nous estimons que c’est une monnaie néocoloniale qui met un frein au développement. Nous devons aller à partir d’aujourd’hui au-delà de la dénonciation du Franc CFA et exiger notre sortie. Nous pensons justement qu’aujourd’hui que pour rompre le lien néocolonial du F CFA, il faudrait exiger la sortie de la France de nos banques centrales. La France doit sortir, c’est ce que nous avons appelé le Frexit c’est-à-dire la France exit, que la France dégage de nos Conseils d’administration où elle a un droit de veto ».

Cette prise de conscience a d’ores et déjà une première traduction culturelle par la constitution d’un collectif de dix artistes de sept pays d’Afrique de l’Ouest  conte le Franc CFA. Leur premier single intitulé « sept minutes contre le CFA » évoque comme suit la question : « le FCFA doit mourir », « la monnaie de singe » et « passer à autre chose. » Cette nouvelle génération militante redécouvre les chemins des dénonciateurs  de cette monnaie coloniale assassinés ou renversés qu’ont été Olympio, Sékou Touré, Modibo keita, Sankara, etc. Héritages et expériences se conjuguent pour dessiner une nouvelle ère anti-impérialiste en Afrique.

Hors de l’Afrique certains pays de l’Union Européenne dont l’Italie monte aux créneaux.

L’Italie décidé à aider l’Afrique

Les accusations du vice-Premier ministre italien Luigi Di Maio, dimanche 20 janvier 2019, ont marqué une nouvelle escalade, provoquant la convocation au ministère des Affaires étrangères de l’ambassadrice italienne en France.

Le leader du Mouvement 5 Étoiles a accusé Paris « d’appauvrir l’Afrique » et d’aggraver la crise migratoire. « Si aujourd’hui il y a des gens qui partent, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains », a-t-il lancé, affirmant que le franc CFA, monnaie de 14 pays africains imprimée en France, « finance la dette publique française ».

L’autre vice-Premier ministre italien, Matteo Salvini, lui a emboîté le pas, estimant que « la France n’a aucun intérêt à stabiliser la situation « en Libye car elle y posséderait des intérêts liés au pétrole. Puis, mercredi, le patron de La Ligue s’en est pris directement à Emmanuel Macron : « J’espère que les Français pourront se libérer d’un très mauvais président », a-t-il écrit sur Facebook.

 

NN

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