HAÏTI : À LA DÉCOUVERTE DES « MÈRES FONDATRICES »

Le 01 janvier dernier, la république d’Haïti a fêté le 215è anniversaire de son accession à l’indépendance. L’histoire de la lutte pour l’émancipation haïtienne est dominée par les emblématiques personnages Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines ou encore le fameux roi Henri Christophe. Pourtant, la naissance de cette nation des Caraïbes est aussi le fruit des efforts et des actions remarquables de certaines femmes dont le courage a été déterminant pour l’avenir de l’île et dont les noms ne doivent pas être oubliés.

À part Catherine Flon, Marie Claire-Heureuse et, dans une moindre mesure, Sanie Belair, certaines occupent très peu la mémoire de bon nombre d’héritiers de cette terre libre. Ces femmes, au même titre que nos héros, ont chamboulé le colonialisme vil des plus grandes puissances européennes de l’époque et ont défié l’esclavage. Bien au-delà de tout cela, elles ont donné une belle leçon d’humanité au monde entier. Leurs noms résonnent peu dans l’historiographie haïtienne.

Catherine Flon : la mère du drapeau bicolore

Si la nation haïtienne doit une dette à d’autres icônes, inclassables et valeureuses, Catherine Flon est certainement l’une de toutes celles qui ont tissé la fierté de l’ancienne colonie. La filleule de l’empereur Jean-Jacques Dessalines que l’on tire des tiroirs de l’oubli chaque 18 mai a cousu le bicolore qui devrait conduire les esclaves à la victoire et à la liberté.

Le 18 mai 1803 en effet, lors du congrès de l’Arcahaie, regroupant l’ensemble des chefs de la Révolution haïtienne, Jean-Jacques Dessalines arracha du drapeau tricolore français la partie centrale de couleur blanche. Catherine Flon, prit les deux morceaux restants, le bleu et le rouge et les cousit ensemble pour symboliser l’union des noirs et des mulâtres et créer le nouvel étendard de la République d’Haïti.

Victoria Montou : la redoutable amazone

Victoria Montou dite « Toya » fut une esclave travaillant sur l’habitation du colon Henri Duclos, propriétaire d’une caféière. Elle était la tante de Jean-Jacques Dessalines. Femme énergique, s’en trouvera astreinte quotidiennement au rude labeurs des champs. Son meilleur ami était son propre neveu Jean-Jacques, à qui elle enseigna le combat au corps à corps et le lancer de couteau.

Elle acquiert une solide réputation guerrière pour avoir combattu dans l’armée de son neveu pendant la révolution haïtienne. Décrite par Mirambeau comme « une femme au tempérament réfractaire et énergique, Victoria Montou s’est battue comme soldat actif pendant la rébellion des esclaves.

À sa mort, Jean-Jacques Dessalines déclara : « Cette femme est ma tante. Soignez-la comme vous m’auriez soigné moi-même. Elle a eu à subir, comme moi, toutes les peines, toutes les émotions durant le temps que nous étions condamnés côte à côte aux travaux dans les champs ». Toya a reçu des funérailles nationales, rapporte-t-on, avec une procession de huit sergents et de l’impératrice Marie-Claire Heureuse.

Claire-Heureuse : la bienveillante impératrice

Première infirmière connue de l’histoire, selon l’historien Thomas Madiou, Marie Claire-Heureuse Félicité Bonheur se fit connaître pour son travail en faveur des blessés et affamés pendant le siège de Jacmel en 1800, et convainquit Dessalines, qui était l’un des assiégeants de permettre que quelques routes fussent ouvertes en sorte que les blessés dans la ville pussent recevoir de l’aide. Elle procura aux femmes et aux enfants des vivres, des vêtements et des médicaments qu’elle avait pu faire venir à la ville, puis fit cuire pour eux de la nourriture dans les rues.

Le 2 avril 1800, elle épousa Jean-Jacques Dessalines et devint impératrice d’Haïti. On l’a décrite comme aimable, miséricordieuse et naturelle, avec des manières à la fois élégantes et chaleureuses, et tout au contraire de son époux manifestait sa gentillesse envers les gens de toutes couleurs.

À la mort de son époux, leurs biens étant confisqués, elle refusa toute forme de pension royale de la part des successeurs de celui-ci et alla vivre chez sa petite-fille et connut la pauvreté jusqu’à sa mort dans la nuit du 8 au 9 août 1858 aux Gonaïves à plus de cent ans.

Cécile Fatiman : la prêtresse vaudou

Cécile Fatiman participa à la cérémonie de Bois-Caïman, au cours de laquelle les principales figures de la Révolution haïtienne, tous en marronnage et fils de « Lafrik Guinen » étaient réunis pour définir une stratégie afin de sortir le pays du joug de l’esclavage.

À la fin de cette cérémonie nocturne, cette prêtresse vaudou fit boire aux participants le sang d’un cochon noir pour devenir invincibles, mais aussi pour sceller et sacraliser le lien qui les unit à partir de ce rassemblement.

Par la suite, Cécile Fatiman épousa le général haïtien Jean-Louis Pierrot, futur président de la République d’Haïti. Elle aurait vécu jusqu’à l’âge de 112 ans dans la ville de Cap-Haïtien.

Sanité Belair, la révolutionnaire

Suzanne Belair, connue sous le surnom de Sanité Belair, est née à Verrettes en 1781. Elle participa activement à la Révolution haïtienne et devint sergent puis lieutenant de l’armée de Toussaint Louverture pendant le conflit contre les troupes françaises de l’expédition de Saint-Domingue.

En août 1802, son mari, Charles Belair, et elles s’insurgèrent dans les montagnes des Verrettes, appelèrent leurs frères aux armes, et rallièrent à leur cause toute la population de l’Artibonite. Arrêtés par l’ennemi Blanc, ils seront condamnés à mort par pendaison. Cependant, le jour de l’exécution, le 5 octobre 1802, le général français fit fusiller le mari, en considération de son grade, et Sanité eut droit à être fusillé, à sa demande, en tant que sergent de l’armée rebelle.

Elle refusa de mourir comme un soldat commun et a regardé son mari mourir. Il lui avait parlé d’une voix calme en lui demandant de mourir courageusement. Refusant d’avoir les yeux bandés au moment de son exécution, elle mourut de la même manière que son époux. Elle est considérée comme l’un des grands héros de la lutte pour l’indépendance ainsi que comme l’une des innombrables femmes importantes, sans lesquelles la révolution haïtienne n’aurait pas pu réussir, menant à l’indépendance et à la libération de l’esclavage en 1804.

Marie Jeanne Lamartinière : l’esclave rebelle

Lamartinière a servi à la bataille de la Crête-à-Pierrot, éclatée en 1802 et s’est battue en uniforme masculin, ce qui a fait une grande impression avec son intrépidité et son courage. Elle aurait relevé le moral de ses collègues par sa bravoure. Sa vie après l’indépendance est inconnue.

Marie-Jeanne impressionna les fantassins français, par son courage à plastronner du haut des remparts du fort avec son fusil, échoua à nouveau et coûta 300 hommes aux Français.

Voici récit que nous en fait Dr. J.C. Dorsainvil : «…De loin, les Francais surveillaient leur œuvre de destruction quand, stupéfaits, ils virent, sur les murailles du fort, une femme qui excitait les combattants. C’était Marie-Jeanne, la compagne de Lamartinière. Le sabre au côté, la carabine à la main, elle partageait tous les périls des héroïques défenseurs de la Crête-à-Pierrot ».

Une vieille histoire raconte qu’elle fut, un temps, impliquée dans une relation avec l’empereur Jean-Jacques Dessalines qui admira son courage mais qu’elle épousa plus tard l’officier Larose. Ceci n’est pas confirmé, mais provient d’une source contemporaine considérée digne de confiance, relatée par l’un des autres soldats de Crête-à-Pierrot.

Dédée Bazile : la brave « folle »

Marie Sainte Dédée Bazile, née dans les environs du Cap-Français et surnommée « Défilée la folle », est aussi une personnalité de la Révolution haïtienne qui fut connu pour avoir transporter le corps supplicié du premier empereur d’Haïti, Jean-Jacques Dessalines, vers un lieu de sépulture.

La légende raconte : « Pendant que de nombreux enfants, au milieu de grands cris de joie, criblaient de coups de pierre les restes infortunés de Dessalines, sur la place du Gouvernement, une vieille femme folle nommée Défilée vint à passer. Elle s’approcha de l’attroupement que formaient les enfants (…) On lui dit que c’était Dessalines. Ses yeux égarés devinrent calmes tout à coup ; une lueur de raison brilla sur ses traits. Elle alla à la course chercher un sac, revint sur la place, y mit ses restes ensanglantés et les transporta au cimetière intérieur de la ville. Le général Pétion y envoya quelques militaires qui, pour une modique somme, les enterrèrent ».

Un de ses fils, le colonel Condol Bazile, officier de la maréchaussée sous le régime du président haïtien Faustin Soulouque, sauvera de la mort, le futur président d’Haïti Fabre Geffrard, le 27 décembre 1858.

Stéphane BAI

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