De sa voix grave, Dom Pedro ne se lasse jamais de parler de son travail auquel il voue une véritable passion. Il a réalisé entre autres de multiples films : Bonga, au nom de la liberté, Ray Lema, tout partout partager, Rido Bayonne, Born in Africa, Michelino, star de la Rumba, Pepe Felly Manuaku, l’âme de zaiko Langa-Langa, Kin Malebo Danse. Son nouveau film de 93mnTango Negro, qui raconte les origines africaines du Tango, lui tient particulièrement à cœur. Il a fallu en effet dix ans au réalisateur angolais pour mettre sur pied ce documentaire. Il a parcouru l’Amérique du Sud, en partie l’Argentine, recueillant les témoignages de la communauté noire, scrutant à la lettre les archives. Un travail de titan. Périlleux. Mais nécessaire pour Dom Pedro qui estime qu’il est important que la vérité soit connue sur l’apport de l’Afrique dans le Tango. Une vérité, selon lui, qui servira de référence aux générations futures sur le continent, mais aussi dans le monde entier. Pour Dom Pedro, il n’y a pas un endroit sur terre où les Noirs n’ont pas vécu. Et partout en Amérique du Sud, il y a une communauté noire.
Afrik.com : Découvrir que le Tango a des racines africaines peut être étonnant. Comment avez-vous vécu la première projection de votre documentaire, à l’Unesco, en présence des ambassadeurs d’Argentine et d’Uruguay ? Dom Pedro : J’ai été surpris car beaucoup de personnes sont venues assister à la première projection. Il y en avait un plus de 300 ! Il n’y avait même pas de place pour tout le monde. Ce qui prouve que le sujet a suscité de l’intérêt. Pour moi, c’est une belle victoire. J’ai en effet travaillé très dur sur ce projet que j’ai entamé à partir de 2003 et mis pas moins de 10 ans pour le réaliser ! Lorsqu’il regarde ce film, qui suscite beaucoup d’émotions, le spectateur n’a pas de répit. Il voit et entend de multiples choses. Après la projection, des femmes sont venues me voir les larmes aux yeux, tellement elles étaient émues et m’ont dit : regardez dans quel état vous avez mis mon maquillage. (Il sourit).
Afrik.com : Comment vous est venue l’idée de créer un documentaire pour raconter les origines africaines du Tango ? Dom Pedro : En regardant des matchs de football, je me suis demandé pourquoi il n’y avait pas de Noirs dans l’équipe d’Argentine. J’admets que cela m’a beaucoup étonné, contrairement à l’équipe du Brésil ou encore d’Uruguay où on trouve des Noirs. Or, à mon époque, on disait qu’il n’y avait pas de Noirs en Argentine. Une affirmation qui m’a surprise. Je me suis demandé pourquoi il n’y aurait jamais eu de Noirs en Argentine ? Alors, je me suis penché sur la question. Et je me suis rendu compte que c’était archi-faux. J’ai alors creusé dans l’histoire de la traite négrière, de la période de l’esclavage. J’ai commencé à rassembler une multitude de documents que j’avais recueillis, qui démontraient qu’il y avait bien des Noirs en Argentine. Parler de l’apport des Africains dans le tango montre bien la présence des Noirs en Argentine. Ce sujet en soi est très important. Pas seulement pour les Africains, mais aussi pour le monde entier.
Afrik.com : Comment les Africains ont-ils pu contribuer à l’avènement du Tango ? Dom Pedro : Au 15ème siècle, une danse qui se faisait à deux est arrivée en Argentine. Le tango est à l’origine de cette danse que les esclaves dansaient. Alors comment s’appelait cette danse ? C’est l’énigme qu’il faut encore résoudre. Mais ce que l’on sait, c’est que dans la langue africaine kikongo, quand on dit « Tango », ça peut signifier : « soleil », « l’heure » ou « espace-temps ». Après avoir terminé leur dur labeur à la fin de la journée, les esclaves criaient de joie : « Tango » « Tango ». Pour célébrer ce moment de bonheur, où le travail arrivait à son terme. Ils se rendaient dans des lieux formels où ils pouvaient se défouler et danser en toute liberté. Quand les Européens entendaient « Tango » « Tango », ils se disaient tiens : « Ils dansent le Tango ». C’est comme ça que le nom a été attribué à cette danse.
Afrik.com : Si cette danse appartenait aux esclaves noirs, comment est-elle arrivée dans le milieu européen ? Dom Pedro : Les Argentins, souvent de bonne famille, considéraient cette danse comme une danse pour les voyous et les primitifs et disaient qu’elle était pour les sauvages et esclaves. Elle était très mal vue. A tel point que les esclaves affranchis, c’est-à-dire libres, avaient presque honte de la danser, car cela signifiait pour eux faire comme les esclaves, comme des primitifs. Pour fuir les regards pesant, beaucoup dansaient en cachette. A partir de là, des jeunes Argentins, qui ont vu les Noirs la danser, codifiaient les pas pour ne pas les oublier. Mais pour eux, il était hors de question de danser de la même façon que les esclaves. Puis petit à petit, ils ont commencé à propager cette danse dans leur milieu.
Afrik.com : Comment les Européens ont-il réussi à s’approprier le Tango, car officiellement tout le monde estime que le Tango provient d’Europe ? Dom Pedro : Il y a eu de multiples échanges entre l’Europe et l’Argentine. Des familles riches européennes venaient en Argentine. Beaucoup de membres de ces familles se rendaient dans les surprise party et y ont découvert le Tango. Elles ont alors estimé que cette nouvelle musique qu’ils ne connaissaient pas était originaire de l’Amérique du Sud. Puis en rentrant chez eux, ils ont emporté le Tango avec eux pour le faire découvrir dans leur pays d’origine. On peut dire que c’est là qu’il y a eu la deuxième phase de la renaissance de la musique Tango. On s’est alors mis à dire Tango argentin, Tango espagnol.
Afrik.com : Avec quel type d’instruments jouait-on le Tango à cette époque ? Dom Pedro : Le Tango se jouait avec des percussions comme par exemple le tam-tam. D’ailleurs, l’artiste-musicien et historien, argentin Juan Carlos Caceres, avec lequel j’ai aussi travaillé pour réaliser ce documentaire, a toujours œuvré pour qu’on reconnaisse l’apport des Africains dans cette musique. Lui qui joue aussi du Tango, a intégré des percussions dans la musique pour revenir aux sources africaines du Tango. Réintégrer les percussions dans cette musique a permis aussi de donner une preuve de l’apport africain.
Afrik.com : En Amérique du Sud, il y a une très forte communauté noire. Alors, comment l’Argentine a-t-elle a réussi à faire croire au monde entier qu’il n’y a jamais eu de Noirs sur son sol ? Dom Pedro : Dans les années 1880, après l’arrivée du nouveau pouvoir, l’Argentine a décidé de changer sa politique vis-à-vis des Noirs. C’est une période qui a été très difficile pour les Noirs, qui n’avaient plus droit à la parole. Ils ont été bannis de tous les mouvements culturels, car l’objectif du nouveau pouvoir était de blanchir l’Argentine. Or en 1840, la ville de Buenos Aires était peuplée de 40% de Noirs. A cette période, beaucoup de Noirs, qui étaient encore pour la plupart des esclaves, servaient aussi de chair à canon pour la libération du pays. L’objectif du pouvoir était surtout d’amoindrir la présence des Noirs pour blanchir le pays et vivre comme les Européens. L’Argentine a même adopté la langue espagnole au 20ème siècle pour atteindre son objectif.
Afrik.com : Mais aujourd’hui encore la communauté noire en Amérique du Sud est très forte… Dom Pedro : Il n’y a dans aucun pays de l’Amérique du Sud où il n’y a pas une communauté noire. Partout : en Argentine, en Uruguay, au Chili, au Pérou, il y a des Noirs. Et les historiens avancent qu’entre 60 et 70% d‘entre eux seraient issus de la sphère Bantou. Ils s’en réclament d’ailleurs. De même que ceux venus de l’Afrique de l’ouest. Lorsque j’ai tourné ce documentaire, j’ai vu et rencontré beaucoup de Noirs. Et ils sont très nombreux en Amérique du Sud. Ils sont là au moins depuis le 15ème siècle. Il est aussi important de souligner qu’ils ne sont pas des immigrés. Ce sont des descendants d’esclaves. D’ailleurs, ils le disent et le revendiquent. Ils ont des photos de leurs ancêtres. Ils sont comme les Afro-Américains. Ils sont dans ce continent depuis des siècles.
Afrik.com : Les liens étroits entre l’Amérique du Sud et l’Afrique sont toujours méconnus. Pourquoi ? Dom Pedro : Je pense que le principal problème c’est que les chercheurs et historiens africains sont tombés dans des pièges dans lesquels on a du mal à les faire sortir. On a fait croire à la plupart d’entre eux que le seul départ des esclaves se faisait à partir de l’île de Gorée. Mais c’est faux ! Beaucoup d’esclaves ont aussi été déportés à partir du bas de l’Afrique du sud, du Congo ou encore de l’Angola. Donc, cela montre qu’il y a beaucoup de points à partir desquels sont partis nos frères, même du Ghana. L’histoire officielle délivrée ne fait que provoquer la méconnaissance.
Afrik.com : C’est-à-dire ? Dom Pedro : A travers l’histoire officielle, on privilégie un peuple au détriment d’un autre. C’est un moyen d’atteindre psychologiquement le peuple qu’on veut dominer. On fausse donc la réalité. Je pense qu’il faut réellement enseigner l’histoire telle qu’elle est, à partir de la réalité. Déjà au 3ème siècle, il y avait des Africains à Paris qui s’habillaient en manteau d’hiver. Ça peut paraître incroyable, mais c’est vrai ! De même, bien avant que Christophe Colomb ne découvre l’Amérique, il y avait des navigateurs africains qui y étaient déjà allés. Il est important que la vérité soit connue. C’est ça l’objectif de mon propos dans ce documentaire : contribuer à la connaissance du monde pour que la paix s’établisse dans le monde.
Source : http://www.afrik.com/dom-pedro-les-racines-du-tango-sont-africaines-ne-pas-publier
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