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[ACTUALITÉ] EN RDC, LES REBELLES DU M23 POURSUIVENT LEUR AVANCÉE

Avec la tombée du jour, Saké prend une couleur de cendre d’après combat. Dans l’obscurité qui vient, les cris des femmes qui hurlent et les plaintes des blessés portent au loin dans les rues désertées. Des petits groupes de rebelles reprennent leur souffle. Ils viennent de repousser une attaque de troupes loyalistes dans la petite ville carrefour de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les tirs s’interrompent après une journée de bataille, avec assauts et appuis de mortiers.
Dans le quartier de Birere, les obus ont frappé au hasard. Ici, un trou dans le sol, là une maison percée comme un sac en papier. Il y a du sang sur le sol. Des cadavres qu’on tire à l’intérieur de maisons. Presque toute la population fuit à grandes enjambées sur la route de Goma.

A tous ceux qui pensaient que les affrontements au Congo-Kinshasa risquaient de marquer un temps d’arrêt après la poussée rebelle, entamée il y a une semaine, et conclue, mardi, par la prise de Goma, la capitale régionale, par le mouvement du M23, l’attaque de Saké, à une vingtaine de kilomètres seulement, montre que rien n’est joué dans l’Est du Congo.

L’ARMÉE CONGOLAISE S’EFFONDRE-T-ELLE ?

Le M23 n’a pas la moindre intention de céder à une série de pressions internationales et de quitter Goma. Au contraire, le mouvement rebelle se sent pousser des ailes et poursuit son avancée sur plusieurs axes à partir de la ville, collée à la frontière rwandaise et toute proche de l’Ouganda. Une partie de ses forces, dont l’effectif exact est un mystère (peut-être 2 000 hommes rejoints désormais par de nouvelles recrues à Goma), est engagée dans la poursuite des Forces armées de RDC (FARDC), qui ont décroché mardi de Goma « en bon ordre, et avec tout leur matériel », comme l’indique une bonne source de la ville.

Mais de quelles ressources dispose encore cette armée régulière ? Jeudi, le commandant des opérations pour l’Est du Congo, Gabril Amisi, dit Tango Four, vétéran des conflits au Congo, a été démis de ses fonctions, après avoir été mis en cause dans un rapport par les Nations unies, qui l’accuse d’avoir vendu des armes aux rebelles. Est-ce que l’armée congolaise, à l’Est, ne serait pas en train de s’effondrer ?

Elle tente, de toute évidence, de prouver le contraire, d’où l’attaque de Saké, présentée hâtivement, jeudi, comme une victoire par les autorités à Kinshasa. Le coup, au demeurant, était bien conçu. Les loyalistes pouvaient espérer tirer parti de l’étirement des forces rebelles dans le territoire sous leur contrôle, dont la superficie a plus que doublé en l’espace d’une semaine d’affrontements.

PROTECTIONS MYSTIQUES

Aux côtés des FARDC et de leur artillerie, l’assaut vers Saké a été mené par des groupes armés locaux, essentiellement celles de l’Armée patriotique pour un Congo libre et souverain (APCLS) du colonel Janvier. Ces forces paramilitaires loyalistes ont été organisées dans les villages de la région avec des groupes maï maï, qui ont plus de cœur à l’attaque que les troupes régulières, notamment grâce à leurs protections mystiques, le dawa (médicament), supposé préserver ses combattants des balles.

Pour lancer cet assaut, les loyalistes s’étaient regroupés dans la localité voisine de Kirotsha, à cinq kilomètres seulement de Saké, ce qui montre leur proximité. Mais un officier loyaliste, joint par téléphone dans la région où se sont regroupés les FARDC, avoue son découragement après cet assaut promis à l’échec. « Toute la journée, les hommes ont attaqué et ils n’avaient pas à manger, ils n’avaient pas de munitions. Ils ont montré leur force mais ils n’avaient personne pour les appuyer. »

Après l’échec, ils se sont à nouveau repliés vers le sud, en direction de Minova, le long du lac Kivu, où se sont massées les forces loyalistes après leur départ de Goma. Sur la ligne de crête qui domine la ville, une longue colonne de soldats rebelles se dessine dans le jour finissant. Des renforts du M23 arrivent à pied et de nuit, le moyen favori de déplacement des rébellions congolaises.

DES CASQUES BLEUS QUI « VIENNENT NOUS PROTÉGER QUAND LA GUERRE EST FINIE ! »

Dans Saké, le sentiment d’abandon des habitants de la ville frappe au visage. Au hasard des quartiers, un adolescent criblé d’éclats au visage sort d’une maisonnette. On apporte un garçon blessé à la cuisse sur un porte-bagages de vélo. Une petite ambulance de casques bleus indiens venus de leur camp voisin essaye d’évacuer les cas les plus graves mais ne veut pas s’attarder à la nuit tombée. « C’est ça, la protection des civils [pour laquelle l’ONU dispose d’un mandat qui autorise le recours à la force]. Ils viennent nous protéger quand la guerre est finie ! », s’indigne un homme aux cheveux gris, entraînant aussitôt les rares passants dans sa colère.

Le chef du quartier, Kapitulo Musobaho, calme les esprits et demande qu’on se consacre plutôt à la recherche des morts et des blessés éparpillés dans le quartier, comme cet homme, Eric, qui tenait un moulin à manioc non loin, et dont la veuve, maman Mamou, crie sa douleur dans la nuit.

Saké est la porte du cauchemar logistique de la région. A droite, la région de hautes collines du Masisi, dans laquelle le M23, de sources concordantes, avance sans rencontrer de résistance. A gauche, une piste atroce qui tient lieu de route du lac en direction du Sud-Kivu, et mène vers les zones où se sont repliées les FARDC. Après trois mois d’immobilité sur les fronts, c’est une nouvelle guerre qui démarre à l’est de la RDC.

Jean-Philippe Rémy Saké (République démocratique du Congo), envoyé spécial

Source : lemonde.fr

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