25 DÉCEMBRE 2006 : DÉCÈS DE JAMES BROWN

C’est à Barnwell (Caroline du sud) que James Joseph Brown naît le 3 mai 1933, mais c’est à Augusta (Géorgie) qu’il grandit dans un quartier misérable, et où il restera attaché sa vie durant, devenant le symbole universel de la ville. L’enfant, livré à lui-même par des parents ne pouvant assurer son éducation, est confié à une tante tenancière d’une maison close. Le petit James Brown s’occupe alors de rabattre les clients pour les dames de compagnie et découvre l’univers de la rue ; il enchaîne les petits boulots de laveur de voiture et cireur de chaussures, ou danse pour quelques dollars de plus et se présente à des concours locaux. A l’école qui ne le tente guère, il préfère chanter dans une chorale gospel et écouter les airs de boogie woogie à la mode, principalement Louis Jordan.

L’ÉCOLE DE LA RUE 

Autodidacte, il apprend le piano et la batterie, mais tombe dans un mauvais coup quand il est arrêté pour un vol de voiture à main armée qui le conduit directement dans la maison de correction pour mineurs délinquants à Toccoa. C’est là qu’il développe ses aptitudes sportives (boxe, base-ball) et surtout musicales (il acquiert le surnom de « Music Box ») et fait la rencontre du pianiste Bobby Byrd. La famille de ce dernier se porte garant de la bonne conduite de Brown, libéré sur parole en 1952. Les deux musiciens ne tardent pas à monter leur propre groupe de rhythm ‘n’ blues, The Flames, influencés par celui d’Hank Ballard, The Midnighters, qui connaît alors un pic de popularité avec « Work With Me Annie ». Rebaptisé The Famous Flames avec James Brown en vedette, la formation se fait engager par une autre influence locale, celle de Little Richard qui accueille le groupe dans sa tournée : il arrive à James Brown d’usurper l’identité du pianiste hurlant à la demande du manager Clint Brantley pour honorer certains contrats.

A la fin de l’année 1955, sur la foi d’une maquette enregistrée dans une station de radio qui séduit le promoteur Ralph Bass, le label Federal (filiale du label d’Hank Ballard, King Records) signe James Brown & the Famous Flames, dont le premier single « Please Please Please » paraît en février 1956. S’il obtient un réel succès, le disque ne donne qu’un faible aperçu de la présence scénique et des talents du chanteur et danseur qui multiplie les acrobaties et entrecoupe ses morceaux d’improvisations et de cris stridents. Pendant deux ans, James Brown doit se plier aux exigences du patron Syd Nathan prompt à tempérer de tels élans (« Chonnie-on-Chon », « Begging, Begging » en 1957), jusqu’à la réussite de la ballade « Try Me » qui atteint le sommet des charts R&B en décembre 1958 et offre à son auteur de faire ses preuves dans le célèbre Apollo Theater de Harlem (New York), où il devient une attraction régulière. La détermination de Brown à s’élever du lot de chanteurs R&B le mène à accepter de tourner chaque soir dans toutes conditions et de créer une solide équipe de musiciens et de choristes pour le show le plus spectaculaire possible, couronné par la cérémonie de la cape de boxeur qui couvre la vedette feignant l’évanouissement.

L’ÂGE D’OR

James Brown trouve en l’agent d’artistes Ben Bart la personne qui va l’aider à réaliser le projet qui lui tient à cœur : l’enregistrement d’un album live capable de retranscrire l’atmosphère de son show, malgré les réticences de Syd Nathan. Capté le 24/10/1962, Live at the Apollo (n°2 en mars 1963) devient un classique instantané avec ses morceaux enchaînés comme une longue suite fiévreuse (les deux parties de « Lost Someone »). L’album, modèle du genre, est précédé d’une série de petits hits dynamiques (« I’ll Go Crazy » et « Think » en 1960, « Bewildered » et l’instrumental « Night Train » en 1961/62) et de la complainte « Prisoner of Love » (1963). Ce tour de force permet à Brown de tenir tête au label King et de conclure un contrat parallèle avec la marque Smash (Mercury) pour la parution de disques exclusivement instrumentaux (Grits and Soul) ou live (Showtime). Mais c’est pour King qu’il réalise ses plus gros scores et sème les graines d’une révolution rythmique, avec « Out of Sight » en août 1964 (n°1 R&B), puis les classiques « Papa’s Got a Brand New Bag » (juillet 1965, Top 10 pop) et « I Feel Good (I Got You) » (novembre, n°3 pop), initiateurs du funk.

Ces innovations toujours marquées du sceau vocal impressionnant de « Mister Dynamite » alternent encore avec un sommet de sentimentalisme (« It’s a Man’s World » en juin 1966), mais elles tendent à s’accompagner de nouveaux discours plus revendicateurs, suivant le mouvement de la lutte de la population noire à faire valoir ses droits civiques, et porteurs de messages (« Money Won’t Change You » et « Don’t Be a Drop Out », 1966). Parfois, seul le rythme remplace la parole (« Bring It Up » et « Let Yourself Go », 1967 – tous présents sur l’album Raw Soul). L’année 1967 est prolifique : les hits « Cold Sweat », « I Can’t Stand Myself (When You Touch Me) » et « I Got the Feelin’ » confirment l’état de grâce d’un James Brown qui connaît son âge d’or et remet son titre en jeu dans le second et double volume de ses aventures à l’Apollo, Live at the Apollo Vol. II (septembre 1968) – magistrale leçon de transe polyrythmique. En 1968, le chanteur prend de plein fouet l’assassinat du pasteur Martin Luther King : un soir, pour éviter un soulèvement, son concert de Boston est retransmis en direct à la télévision. Alors que les émeutes font rage dans le quartier de Watts (Los Angeles), Brown est invité sur les plateaux dans le but de rétablir le calme. Dans le même temps, il devient un porte-parole de la communauté noire avec son manifeste « Say It Loud – I’m Black and I’m Proud » (n°6 R&B).

Au cours de dix années au sommet entre le rhythm ‘n’ blues, la soul et le funk naissant, James Brown a puisé dans un extraordinaire vivier de musiciens : il a reçu les services du guitaristes Kenny Burrell, du saxophoniste ténor J.C. Davis et de son fidèle lieutenant Bobby Byrd. Son groupe actuel est au rang des meilleurs de la soul, avec les prodigieux guitaristes Jimmy Nolen et St. Clair Pinckney, les saxophonistes Pee Wee Ellis et Maceo Parker, le tromboniste Fred Wesley, les batteurs Clyde Stubbefield et John Starks (il est le premier a avoir deux batteurs sur scène), une flopée de choristes dont Vicki Anderson, des cuivres (saxes, trompettes et trombone) et l’arrangeur Nat Jones. Aussi importants que soient ces musiciens, Brown leur fixe des règles sans concession et n’hésite pas à dresser des amendes pour un retard, une fausse note ou un costume froissé. Et quand, en 1969, la troupe se soulève pour demander une augmentation avant un concert à Cincinnati, le Godfather (« Parrain ») recrute sur place des musiciens prêts pour l’aventure : ces jeunes loups fans du maître, nommés Phelps « Catfish » et William « Bootsy » Collins, durcissent davantage le rythme et lancent le chanteur dans ses retranchements vocaux les plus féroces (« Give It Up or Turn It a Loose », « I Don’t Want Nobody to Give Me Nothin’ » et « Mother Popcorn » en 1969) avant de partir renforcer la délirante connexion Parliament/Funkadelic qui leur laissent plus de liberté. Brown mène ses affaires avec la même ardeur, devenant propriétaire d’une chaîne de radios et de restaurants, ou d’un jet privé.

LES DERNIERS FEUX

Au tournant des années 1970, le « président soul » reste l’ambassadeur du funk avec une série de titres explosifs : « Ain’t It Funky Now », « Funky Drummer » (devenu un classique du sampling hip-hop) et surtout le plus torride des gospel et favori des discothèques, « (Get Up I Feel Like Being a) Sex Machine » (juillet 1970). En 1971/72, « Hot Pants », « Make It Funky », « Get On the Good Foot » et « King Heroin » mènent la danse, mais les albums s’appuient également sur une mise à jour des recettes du passé. Malin, James Brown suit la mode des morceaux instrumentaux et laisse son nouveau groupe, The J.B.’s, se lancer dans des enregistrements de belle facture avec les albums Food for Thought, le chef d’œuvre Doing It to Death, et Breakin’ Bread. Dans l’intervalle, le maître se ressource avec un troisième volume apollonien (Revolution of the Mind), un monumental There It Is (« Public Enemy », 1972), et dans la composition de bandes originales de films avec un indéniable savoir-faire : Black Caesar, Slaughter’s Big Rip-Off, The Payback et le double Hell forment une tétralogie musclée et savoureuse.

C’est au milieu des années 1970 que la carrière jusque là exemplaire perd de sa superbe. La vogue du disco bat son plein, mais Brown ne parvient pas à accrocher son nom au wagon, aussi prestigieux et compétent soit-il. Ses pas de danse paraissent millésimés et son look avec moustache défraîchi, ses atouts deviennent des handicaps. De redites en lourdeurs, le Godfather se fourvoie (Reality, Sex Machine Today, Take a Look at Those Cakes) ou au mieux surnage (l’album Get Up Offa That Thing et le hit « Bodyheat » échappent à la règle). S’il reprend consistance avec The Original Disco Man (1979, « It’s Too Funky In Here »), la vague est passée. Un double live japonais plus loin, le costaud Hot On the One en 1980, et Mister Brown est relancé par divers hommages : celui du film The Blues Brothers dans lequel il joue le rôle d’un prêcheur convaincant, et celui des précurseurs du hip-hop auxquels il s’adresse à travers l’interminable « Rapp Payback » extrait de Soul Syndrome (1980).

Sur scène, il demeure imbattable, mais ses affaires intéressent le fisc américain qui étudie ses comptes et saisit un à un les signes visibles de sa réussite. Quasiment ruiné et sans label, Brown traverse une période difficile jusqu’à son sauvetage par le roi de la « nation rap zulu » Afrika Bambaataa partageant le succès du single « Unity » (août 1984). Deux ans plus tard, Brown effectue un retour au premier plan avec le thème musical du film Rocky IV, le convenu « Living in America ». L’ex-Soul Brother Number One est honoré de toutes parts, les institutions telles que le Rock and Roll Hall of Fame, les critiques, les musiciens et en particulier les rappers en font l’artiste le plus samplé, les nouvelles générations… mais encore une fois, son image subit un revers quand en 1988 il est accusé d’avoir violenter son épouse Adrienne sous l’effet du PCP (une drogue dure), et mis sous écrou par la police après une tentative de fuite. L’incident lui coûte une peine de six années réduite à deux ans pour bonne conduite.

EPILOGUE ET HÉRITAGE

Sorti de prison, James Brown se précipite en studio afin de combler le retard et de s’associer au mouvement techno-funk sur les albums Love Over-Due (1991) et Universal James (1992) avec force synthétiseurs. Puis un splendide coffret de 4-CD rend hommage à sa fabuleuse carrière (Star Time, 1991), ainsi que la réédition quasi-totale de son catalogue, l’un des plus fournis et complexes qui soient, et la parution de compilations thématiques. Du côté des disques live, il entame un quatrième Apollo publié en 1995, suivi de la réédition du concert mythique à l’Olympia de Paris de 1971 (Love Power Peace). En 1998, il sort le (trop) prometteur I’m Back, puis les nouvelles se font rares – hormis d’inlassables tournées – sans matériel neuf. Ce disque restera comme le dernier enregistrement original. En 2004, Brown est opéré d’un cancer de la prostate. Remis sur pied, il entame aussitôt une tournée Seven Decades of Funk, mais une banale visite chez un dentiste diagnostique une pneumonie. Hospitalisé d’urgence, le génie de la soul et du funk s’éteint d’une crise cardiaque le matin de Noël 2006. Dans les jours qui suivent, un vibrant hommage lui est rendu par une longue foule dans son temple, l’Apollo de Harlem, avant un repos éternel dans sa bonne ville d’Augusta.

Copyright 2008 Music Story Loïc Picaud

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