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[CULTURE] TEMOIGNAGE D’ANGÉLIQUE KIDJO, INITIATRICE DE LA RENCONTRE ENTRE LA MUSIQUE CLASSIQUE ET LA MUSIQUE AFRICAINE

Une des idées fausses les plus courantes sur l’Afrique, mon continent, est que sa culture et ses arts sont primitifs. Il se dit que l’art africain serait l’art le  plus proche du début de l’humanité, plus près de l’époque où nous étions encore mi-bête mi-homme.  Pourquoi tant d’ignorance? Serait-ce parce que l’histoire de l’Afrique a été contée par les civilisations occidentales et du Moyen-Orient  qui ont eu à déshumaniser les peuples africains actuellement d’Afrique subsaharienne afin de justifier l’esclavage?

Mais la vérité est que notre culture est extraordinairement riche, diversifiée et belle. Il y a quelques années, je visitais l’exposition IFE de l’art nigérian au British Museum à Londres. Je fus frappée par ces magnifiques sculptures en bronze avec des caractéristiques très réalistes. Quand elles ont été découvertes dans le royaume Yoruba au début du XXe siècle, les scientifiques étaient tellement intrigués par leur réalisme qu’ils prétendaient qu’une tribu grecque devait certainement avoir débarqué sur le rivage de la Côte d’Or de l’Afrique au XIVème siècle. Cette sophistication ne pouvait pas appartenir à ce que l’on appelle le « continent noir »!

Etant une chanteuse-compositrice-interprète et globe-trotter originaire de l’Afrique de l’Ouest, j’ai toujours senti que ma mission sur cette terre était de porter la chaleur, la beauté et la sophistication de la culture africaine à l’attention du reste du monde. Je voulais combattre le préjugé d’une Afrique primitive. Sur ce chemin, j’ai fait de nombreuses collaborations musicales avec des artistes brésiliens, cubains et américains. C’est arrivé naturellement car la musique des esclaves a tellement voyagé qu’elle a influencé la musique de ces cultures. Mais à côté de cela, une dernière frontière restait à surmonter ; celle du monde de la musique classique. Cela semblait insurmontable car la musique classique été créée pour incarner l’essence d’une civilisation étant diamétralement opposée à la supposée primitivité que l’on attribue à la musique africaine.

Puis, un jour Timothy Walker, le directeur artistique de l’Orchestre Philharmonique de Londres, m’a entendue chanter à New York et m’a dit: «  Je ne suis pas familier avec les traditions musicales africaines mais j’aime votre voix et je pense que ce serait en accord parfait avec un orchestre »

Quand il m’a demandée avec quel compositeur contemporain je voudrais travailler, je lui ai dit : « Philip Glass. J’appréciais l’homme et sa musique et je connaissais également le respect et la connaissance qu’il avait à propos des cultures qui ne touchaient pas le monde occidental. »

Et nous y voilà !  L’idée de la pièce philharmonique «  IFE, THREE YORUBA SONGS », dont la première aura lieu  le 10 Juillet avec l’Orchestre symphonique de San Francisco, est née d’une discussion dans la cuisine de Philip. Tout était question du mariage entre les mystérieuses légendes de Yoruba du royaume d’IFE* et le magnifique style de sa musique. Cela évoquait un organisme vivant en constante évolution, qui se déplaçait et se développait d’une manière hypnotique, ressemblant à la transe de mes rythmes béninois.

Philip m’a dit: « Angélique, ensemble, nous avons construit un pont que personne n’a emprunté avant. Dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, dans lequel chaque communauté semble encore fragilement connectées les uns aux autres, il est d’autant plus important de construire ce genre de pont. »

« Peut-être que je suis naïve, mais je crois que la musique est un outil puissant de changement social. En Août dernier, alors que la ville de Ferguson était en ébullition, lors d’une soirée en hommage à James Brown, au Hollywood Bowl, je me suis adressée à la foule, et leur ai dit : La musique doit être la langue du peuple, elle doit être la liberté du peuple. Maintenant, j’aimerai que vous compreniez une chose ce soir : nous sommes tous Africains, donc quand je dis « Dites le bien fort », dites-le moi s’il vous plaît, vous tous, la couleur de peau que vous pensez avoir n’a pas d’importance, dites-le moi, que vous êtes « Noir et fièrs »! À mon grand étonnement, j’ai vu 15.000 personnes de toutes origines, se lever et captivés par cet instant de communion, chantés avec moi l’hymne de James Brown: « Say It Loud, I’m Black and I’m Proud. » Je me suis sentie tellement bien ! »

La musique a le pouvoir de briser les frontières et d’unifier les personnes au-delà des barrières que nous créons. « IFE », ma collaboration avec Philip Glass, représente exactement ceci : « nous sommes la preuve vivante que deux cultures ne sont pas indissociables l’une de l’autre ; chacune d’elle peut et fusionnera avec l’autre. J’espère que cette pièce va changer la façon de voir la «musique africaine» et la «musique classique». Leurs limites sont juste dans nos esprits. La raison pour laquelle ce type de collaboration n’a jamais été expérimenté avant est parce que pendant des centaines et des centaines d’années, l’héritage de la colonisation a œuvré de sorte  que tout le monde considère la population africaine comme un peuple primitif et ignorant. C’est la même logique qui a empêché la musique Jazz de pénétrer dans les salles de concert pendant des décennies et les paroliers de rap d’être considérés comme de grands poètes. Mais au final, quand la politique échoue, l’art peut triomper. »

C’est sur cette phrase inspirante que ce termine le témoignage de ANGELIQUE KIDJO. Vous verrez dans cette vidéo, un extrait qui vous donnera un aperçu de son art, un art dépassant les frontières,  visant à rassembler les communautés et rétablir le prestige de la musique Africaine.

*IFE (ou Ilé-Ifè) est une vieille cité Yoruba située au sud-ouest du Nigeria. Le Royaume légendaire d’Ife (prononcé ee-feh) est célèbre car possédant les plus belles sculptures (têtes) en terre cuite et en bronze, alliant raffinement  et réalisme, jamais découvertes en Afrique. La cité d’IFE a donné naissance entre les XIIe et XVe

NegroNews

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