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[SOCIÉTÉ] UN EX SOLDAT FRANÇAIS AU RWANDA: « J’EXIGE DE LA FRANCE LA VÉRITÉ SUR SON RÔLE DANS LE GÉNOCIDE »

En 1994, un génocide a été commis au Rwanda, faisant près d’un million de victimes en 100 jours. Ce génocide a été organisé par le gouvernement rwandais de l’époque et exécuté notamment par ses forces armées, les FAR. Ce ne fut pas un déchaînement de violences spontanées de paysans misérables, mais une entreprise démente, structurée et systématique d’éliminations des Tutsi du Rwanda.
Un million de victimes en 100 jours, c’est 10 000 personnes éliminées quotidiennement pendant plus de trois mois. Le 22 juin 1994, la France déclenche l’opération « Turquoise », après avoir obtenu un mandat humanitaire de l’ONU.

J’ai participé à cette opération comme capitaine de la force d’action rapide. J’étais spécialiste du guidage au sol des frappes aériennes au sein d’une unité de combat de la Légion étrangère. J’avais 28 ans.

VERSION OFFICIELLE

C’est le décalage entre la version officielle et la réalité des missions que j’ai effectuées sur place qui m’oblige à témoigner, car comment peut-on comprendre et réfléchir sur le rôle de la France dans le drame rwandais si on ne connaît même pas les pièces du puzzle ?

Certaines sont rondes et difficilement contestables. Les unités de l’armée française avec lesquelles je suis intervenu se sont comportées de manière très professionnelle et ont fait ce que les responsables politiques français attendaient d’elles. J’ai un profond respect pour mes anciens compagnons d’armes, et il ne m’appartient pas de les critiquer.

Ces unités n’ont jamais participé au génocide, jamais. Ces unités militaires françaises, quand elles en ont reçu l’ordre, ont protégé avec efficacité les rescapés du génocide, je pense notamment au camp de réfugiés de Nyarushishi (8 000 personnes) sécurisé par la compagnie de combat de la Légion étrangère dans laquelle j’étais intégré.

DÉCISIONS POLITIQUES

D’autres pièces du puzzle ne trouvent pas leur place dans ce dessin. Elles posent question sur des décisions politiques qui ont pour conséquence de faire apparaître la France comme ayant soutenu, protégé et armé un gouvernement génocidaire…

En effet, le récit des missions que j’ai effectuées pendant l’opération « Turquoise », et je ne crois pas que quiconque soit mieux placé que moi pour expliquer ce que j’ai fait, pose des questions difficiles. Nous sommes intervenus avec une armada militaire (près de 3 000 hommes, unités de combat de la Force d’action rapide, avions de chasse). Si la mission était humanitaire comme cela est encore affiché pour l’opération « Turquoise », nous aurions dû logiquement intervenir contre les génocidaires, c’est-à-dire contre le gouvernement rwandais et ses forces armées.

Au lieu de cela, nos responsables politiques ont décidé que nous devions stopper leurs opposants militaires. J’ai reçu l’ordre le 22 juin de préparer un raid sur Kigali pour reprendre la capitale et le 30 juin de guider des frappes aériennes contre les colonnes du Front patriotique rwandais (FPR). Ces ordres ont été annulés, quel débat animait alors nos gouvernants ?

LIVRAISON D’ARMES

Lorsque nous avons enfin changé d’orientation le 1er juillet, nous n’avons pas cherché à neutraliser ce gouvernement génocidaire et ses forces armées. Au contraire, nous les avons laissés se réfugier au Zaïre et provoquer en plus l’exode de leur propre population, un nouveau drame humanitaire. En n’agissant pas, avons-nous été complices ?

Enfin et beaucoup plus grave, j’ai assisté au départ d’une livraison d’armes, dans la deuxième quinzaine de juillet, à destination des camps de réfugiés dans l’est du Zaïre, générant des décennies de conflits qui n’ont jamais cessé depuis. Pas des armes confisquées comme je l’ai d’abord cru, mais bien des stocks d’armes livrés sur place, en pleine mission humanitaire.

J’ai longtemps pensé que ces décisions avaient pu être prises par des gouvernants qui n’avaient pas connaissance du rôle génocidaire de ceux qu’ils soutenaient. Mais il apparaît que le service de renseignement de l’Etat français avait établi et informé nos décideurs politiques du rôle génocidaire du gouvernement rwandais et de ses forces armées, avant même l’opération « Turquoise » (en particulier dans une note du 4 mai 1994).

DES INFORMATIONS CRUCIALES ÉCARTÉES

Pourquoi nos responsables politiques ont-ils décidé d’écarter ces informations cruciales ? Pourquoi n’ont-ils pas condamné et neutralisé ce gouvernement génocidaire comme le leur recommandait pourtant la Direction générale de la sécurité extérieure ?

Je ne doute pas que leur intention était autre, mais les conséquences de leurs décisions sont d’une extrême gravité. Aussi, comme citoyen français, je souhaiterais savoir quelles décisions politiques ont été prises, par qui et pour quelles raisons.

Et en tant qu’ancien officier ayant participé à l’intervention militaire de la France au Rwanda, je souhaiterais savoir si je risque un jour d’être mis en examen pour complicité d’un crime insoutenable et imprescriptible, le génocide.

OUVRIR LES ARCHIVES

Pour répondre à ces questions, il me semble utile qu’une commission d’enquête puisse faire la lumière sur le rôle de la France dans le drame rwandais et les responsabilités qui incombent aux décideurs de l’époque, en s’appuyant sur l’ouverture complète des archives. La mise en place d’une commission d’enquête serait prendre le risque de regarder en face nos responsabilités et s’assurer aussi que, si nous avions commis des erreurs, elles ne puissent pas se reproduire de la même manière.

Certains se drapent dans « l’honneur de la France » pour éviter cette enquête, je leur réponds que cette « volonté de savoir » serait faire honneur au courage de la nation. Enfin, quelles que soient les conclusions de cette commission d’enquête, il ne serait pas indécent que des lieux de mémoire soient élevés, en France, pour honorer le souvenir du massacre du million de victimes que nous n’avons pas su empêcher, dans le dernier génocide du XXe siècle.

Source: http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/08/29/ex-soldat-francais-au-rwanda-j-exige-de-la-france-la-verite-sur-le-genocide_4478886_3232.html

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