La polémique est presqu’aussi vieille que le monde: l’Afrique est-elle vraiment le berceau de l’humanité? Prenez la question par le bout qui vous arrange, mais vous conviendrez vite d’une chose que l’on a souvent tendance à oublier: il n’y a pas une Afrique, mais des Afriques. Vous conviendrez aussi que la grande diversité de populations, climats et de traditions des différentes régions d’Afrique est à la fois une immense richesse et un léger problème pour qui s’intéresse à ce continent, ou même pour qui en vient.
C’est le cas des nombreux ressortissants africains installés dans le sud des Etats-Unis, dans ces Etats qui portent encore le lourd héritage de l’esclavage des noirs déportés du continent. Comment parler de l’Afrique à leurs amis, par exemple, sans tomber dans des généralités qui pourraient créer plus de confusion qu’autre chose?
À cette question, Karim Traoré, enseignant de littérature comparée à l’université de Géorgie, est convaincu que le meilleur moyen pour y arriver, c’est de se réapproprier les langues africaines… et les enseigner.
La clé de la survie
«Nous devons redonner à nos langues toute leur importance. C’est la clé de notre survie en tant qu’immigrés, mais c’est aussi la condition pour être respectés et mieux intégrés dans nos pays d’adoption», soutient-il.
La vérité est que si Karim Traoré, d’origine burkinabè, est aussi affirmatif, c’est parce qu’il a l’esprit une expérience qui est développée depuis plus de 25 ans au sein même de l’université de Géorgie, l’African Studies Institute. Il s’agit d’un centre d’enseignement des langues africaines dont l’objectif est de fournir des connaissances sur l’Afrique et sur ses différents aspects socioculturels et politiques. Avec toujours une langue pour point de départ.
Cet institut, au fil des ans, a réussi à occuper un imposant bâtiment sur les hauteurs du campus de l’université de Géorgie, à Athens, une ville située à quelque soixante kilomètres d’Atlanta. Dans une des salles de cours, l’après-midi de notre visite, la surprise est grande: aucun Africain.
«Les étudiants ici ne sont ni Africains ni Africains-Américains. Ils sont en majorité des Américains blancs, explique avec une gêne à peine dissimulée, Akinloye Ojo, le directeur de l’institut. Les raisons sont diverses, mais ce qui compte, c’est que nous puissions faire vivre les langues africaines hors d’Afrique.»
Mais le chercheur Karim Traoré a une analyse plus virulente et évoque les effets pervers de la colonisation qui ont amené nombre d’Africains à nourrir une forme de condescendance vis-à-vis de leur propre patrimoine.
«Paradoxalement, la conséquence est que c’est souvent hors d’Afrique que l’on prend nos langues au sérieux», explique l’enseignant.
Les étudiants de l’African Studies Institute sont, pour la plupart, des étudiants en relations internationales ou des personnes qui ont des projets humanitaires en Afrique. Janne est une jeune Américaine de 22 ans et fait partie d’un groupe qui étudie le swahili:
«J’étudie le droit international, et j’aimerais m’installer plus tard au Kenya ou en Afrique du Sud, et je me suis laissée dire que ce serait un plus de maîtriser une des nombreuses langues africaines. J’ai choisi le swahili, peut-être parce que c’est l’une des plus connues.»
Par chance, il se trouve que le swahili, comme l’ahmarique, le haoussa, le yoruba, le bamanan et le zulu sont des langues enseignées ici.
«Cela reste encore assez peu, si l’on tient compte de toute la diversité linguistique africaine», explique Akinloye Ojo, le directeur du centre.
Il ajoute que les filières aujourd’hui disponibles le sont un peu au gré du hasard. Lui-même enseigne le yoruba, parce qu’il est yoruba et parce que d’anciens étudiants de l’institut sont revenus enseigner cette langue. C’est le cas pour les autres programmes. Le haoussa que l’on parle dans certains pays ouest-africains a par exemple été arrêté faute d’enseignant.
Un laboratoire d’idées
Ainsi pour continuer à faire vivre le projet, diverses activités sont organisées tout au long de l’année. Des plus formelles comme des forums, conférences et des voyages d’étude sur le continent aux plus informelles comme des pique-niques et kermesses au sein du campus de l’université de Géorgie.
«Nous essayons aussi de sensibiliser les élites politique et intellectuelle du continent. Nous, nous faisons un travail de terrain, là où nous sommes et du mieux que nous pouvons, pour faire vivre les langues africaines. Mais elles doivent aussi réfléchir à ce qu’elles peuvent faire à leur niveau», souligne le directeur du centre, en nous montrant, sur le mur d’une salle, les photos de personnalités venues donner une conférence à l’African Studies Institute.
Et l’on peut y reconnaître, entre autres, le prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka, l’ex-présidente du Parlement africain, Gertrude Mongella, ou encore l’actuelle ministre nigériane des Finances N’gozi Okonjo.
«De toutes les manières, ce programme ne peut être considéré que comme un laboratoire pour montrer qu’il est possible d’avoir une réflexion à plus grande échelle. Nous devons nous réapproprier nos langues, car aucun pays ne s’est développé avec la langue d’autrui. C’est l’une des erreurs de l’Afrique et les élites doivent réparer cette erreur», tonne Karim Traoré.
Source: slateafrique.com
http://www.slateafrique.com/411313/diasporas-combien-dafricains-parlent-leur-langue
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