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[SOCIÉTÉ] CE QUE LES NOUNOUS DISENT DE NOUS, ET DE NOTRE MONDE

En 2012, le New York Times publiait des chiffres pour le moins déconcertants. Selon le quotidien américain, une nounou américaine peut espérer gagner jusqu’à 180.000 dollars par an (132.000 euros environ) sans compter les bonus, la voiture de fonction et autres avantages en nature qui seraient devenus courants.

L’auteur de l’article avançait que le boom économique des années 1990 avait été une aubaine pour les employés de maison en ce que ces derniers ont pu proposer leurs services à des familles plus riches pour des tarifs plus élevés. Le rythme de travail de plus en plus effréné des parents new-yorkais aurait aussi conduit ces nounous à être de plus en plus disponibles et à exiger en conséquence des salaires plus élevés.

Si certaines baby-sitters et autres gouvernantes ont probablement su tirer leur épingle du jeu, plusieurs affaires ont pourtant révélé que tous riches qu’ils sont, certains parents habitant New York n’ont pas hésité à exploiter leur nounou avec des salaires dérisoires.

Le fruit du travail de la photographe Ellen Jacob révèle que la réalité est très éloignée du tableau idyllique avancé par le NY Times. Au contraire, d’après Ellen Jacob, le job de nounou est un parfait révélateur de disparités sociales, raciales et économiques.

Un amour quasi-maternel

C’est en observant le ballet incessant «des nounous noires et des enfants blancs» dans les rues de l’Upper West Side que la photographe a voulu en savoir plus sur les vraies conditions de vie des nannies new-yorkaises. Pendant 4 ans, elle a arpenté les rues new-yorkaises, les squares et les aires de jeux. Elle est entrée en contact avec les nounous et les enfants qui leur sont confiés, a passé des heures avec certaines, plusieurs jours avec d’autres.

Pour l’une de ces femmes, le vrai tabou qui entoure ce métier tient dans le fait qu’«être nounou est un emploi peu rémunéré où l’amour entre la nounou et l’enfant est l’un des droits prévus mais jamais formulé. C’est quelque chose de très inhabituel dans une transaction financière».

Ainsi, bon nombre des femmes que la photographe a interrogées expliquent porter un amour quasi-maternel aux enfants dont elles ont la garde. L’une d’elle confie d’ailleurs essayer de ne pas trop s’attacher à ces enfants malgré les longues heures passées en leur compagnie car elle sait qu’elle sera un jour obligée de les quitter.
Le regard des enfants que l’on découvre sur les photos qu’ils portent également un amour profond et presque filial à leur nounou.

C’est probablement pour cela qu’Ellen Jacob a choisi un titre plutôt provocateur pour sa série de photos: «Substitutes». Comme si en effet, ces femmes se substituaient pendant des mois, ou des années, aux parents des enfants qu’elles gardent. La photographe raconte d’ailleurs qu’une grande majorité de nounous qu’elle a rencontrées sont elles-mêmes mères d’un ou plusieurs enfants avec lesquelles elles passent peu de temps, du fait de leurs horaires à rallonge.

Et c’est cette toute cette complexité qui est révélée par les clichés d’Ellen Jacob: des femmes doivent, pour des salaires très bas, se séparer de leurs propres enfants pour élever des enfants qui ne sont pas les leurs et dont les parents eux gagnent suffisamment bien leur vie pour employer des nounous quasiment à plein temps.

Si le regard portée par la photographe semble assez critique, elle ne condamne pas pour autant la tradition qui consiste à employer des nounous. Mais elle affirme vouloir que l’on change notre regard sur ces femmes, que les parents comme les passants y voient autre chose que de simples employées de maison.

Elles doivent laisser leurs enfants pour s’occuper de ceux des riches

Elle Jacob a d’ailleurs également publié la photo de Martha, la nounou qui l’a gardée quand elle était elle-même enfant. Elle ne l’a pas vue depuis plus de trente ans mais dit «se souvenir parfaitement de son visage».

Mais si le travail d‘Ellen Jacob s’est concentré sur les rues new-yorkaises, cela ne signifie par pour autant que seules les nounous de Big Apple incarnent ces disparités sociales et raciales, et surtout cette relation si particulière entre ces femmes, les enfants et leurs parents.

En France, «la nounou noire et le bébé blanc» est également un élément habituel du paysage offert par les squares. C’est d’ailleurs sur ce trio que Caroline Ibos, a enquêté pendant 8 ans.

Dans Qui gardera nos enfants (2012, Flammarion), cette professeure de sociologie politique avait décrypté le quotidien de ces femmes, souvent migrantes, et ayant dû laisser leurs propres enfants dans leur pays, pour garder les enfants de la bourgeoisie occidentale.

Pour Caroline Ibos, ces nounous sont «les nouvelles prolétaires de la mondialisation».

Et la dimension affective de leur travail peut facilement se transformer en piège pour chacun des protagonistes. Tout l’équilibre de la famille repose sur la disponibilité et les soins dispensés par la nounou à l’enfant. Dans les grandes métropoles, «les femmes qui réussissent socialement ne peuvent le faire que si d’autres femmes pauvres prennent en charge les tâches domestiques et la garde des enfants», expliquait la sociologue.

La nounou s’en va, et c’est toute l’organisation qui s’écroule.

Les nouvelles prolétaires de la mondialisation

Mais si les conditions de travail ou le salaire ne lui conviennent pas, il n’est pas aisé non plus pour la nounou de quitter la famille, à cause des liens qu’elle aura probablement tissés avec l’enfant.

Caroline Ibos racontait également comme ces mères employeuses, souvent politiquement libérales, se sentent autorisées, à cause de cette relation complexe à formuler, sans la moindre gêne, des préjugés franchement racistes: «l’Africaine est maternelle mais ne fait pas bien le ménage», l’«Asiatique est propre mais pas assez chaleureuse»…

Paroles qui sont parfois prononcées devant la nounou elle-même, pilier indispensable à l’harmonie, mais pilier invisible…

N.D.

Source :www.slate.fr

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