RAOUL PECK: « LE BLANC EST UNE MÉTAPHORE DU POUVOIR »

Dans un entretien accordé au magazine TéléObs, Raoul Peck est revenu sur son œuvre qui, à peine sortie, se range déjà parmi les grands classiques. Mais au-delà de cette œuvre, le cinéaste haïtien s’est aussi exprimé sur ce qu’a pu représenter Obama en termes de symbolique, d’action réelle. De même, sur la France, Raoul Peck a livré son analyse par rapport à la place des noirs dans l’hexagone.

Pour ce qui est du film documentaire, largement inspiré de l’œuvre de Baldwin, il ressort de son entrevue que Raoul Peck a voulu presque rendre à James Baldwin, sa grandeur, sans doute à raison. En effet, l’auteur américain est très peu connu du monde francophone, ce qui inclut la France bien évidemment, alors même qu’il y a vécu. De plus, pour Raoul Peck, l’œuvre de cet illustre intellectuel noir s’est bien des fois présentée à lui comme un repère, « I‎l m’a aidé toute mon existence. Je pouvais me tourner vers lui pour comprendre ma place d’homme noir dans le monde.”, affirme le cinéaste.

Pour rendre ce projet réalisable et pour avoir accès à la documentation nécessaire, Raoul Peck a eu recours à la famille de James Baldwin.

« J’ai écrit à la famille Baldwin. Ils m’ont demandé de venir les voir à Washington, et Gloria, la jeune sœur de Baldwin, m’a donné accès à toutes ses archives dont ce manuscrit de 30 pages, ébauche d’un livre que Baldwin n’a jamais eu le temps de terminer. Il devait traiter du destin de trois hommes qui avaient été ses amis et qui ont tous été assassinés : Malcolm X, Martin Luther King et Medgar Evers, un autre activiste. A travers ces trois hommes, Baldwin voulait raconter l’histoire de l’Amérique. « Mon film est donc l’histoire de leur amitié, de leur militance, de leurs confrontations, puis de leur convergence politique. Mon travail a été d’achever en images ce livre sur l’Amérique qu’il n’a pas pu écrire, en piochant dans toute son œuvre. ». ‎

Pour ce qui est de la dichotomie classique existante en Martin Luther King et Malcolm X, Raoul Peck qui a choisi un schéma d’analyse différent, nous fait comprendre qu’au-delà des rapprochements à la fin de la vie de Malcolm X, les deux combattants ont eu le même parcours. La dichotomie existante, elle est née du besoin de l’oppresseur blanc de diviser au sein d’une communauté qui s’organisait et devenait dangereuse.

Martin Luther King est présenté comme le pacifiste, ses discours les plus radicaux ont été jetés aux oubliettes de l’histoire pour en faire un personnage mythique, humaniste, acceptable. Malcolm X quant à lui est présenté comme le barbare raciste, aux idéologies néfastes. Le cinéaste entendait donc par cette analyse jumelée « remettre les pendules à l’heure ».

Sur la question Obama, la faible amélioration de la cause des noirs, Raoul Peck se référant à son mentor James Baldwin affirme, « ‎ Un jour, on lui (James Baldwin) a posé la question : quand est-ce que l’Amérique élira un président noir ? Il avait répondu : la vraie question, ce n’est pas quand il y aura un président noir mais de quel pays il sera le président. Or les Etats-Unis n’ont pas fondamentalement changé. Obama est une anomalie. Il en a eu conscience tout de suite. Il savait qu’il n’avait pas été élu parce qu’il était noir mais parce qu’il tenait un discours qui donnait espoir, au-delà de sa couleur de peau. Et il s’est vite rendu compte qu’il avait les mains liées sur la question raciale. S’il l’avait jouée, il aurait été laminé. Ce que l’on voit monter actuellement avec Trump serait sorti beaucoup plus tôt. […] Les Etats-Unis continuent de vivre dans le déni. Tant qu’on ne reconnaît pas que ce pays s’est construit sur deux génocides et qu’il entretient un rêve qui n’est un rêve que pour une minorité bourgeoise, rien ne changera. C’est le message de Baldwin. »‎

En ce qui concerne la France et la place des noirs, des minorités, notamment dans le monde du cinéma et de la télévision, Raoul Peck n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Pour lui, la situation est encore et toujours plus qu’alarmante. S’il y a bien des noirs et arabes qui ont pu trouver leur place dans ce monde, cela est moins dû à une volonté du système de les intégrer, qu’à leur détermination propre à défoncer les portes du système.

« A tous les échelons, on est en retard en France. On donne maintenant quelques récompenses aux minorités aux César, oui. Mais il n’y a eu aucun changement structurel et légal capable de modifier les choses en termes de production par exemple » fustige le cinéaste haïtien. Qui irait dire le contraire ?

La solution pour faire changer les choses, est un partage des pouvoirs. Ce partage passe par l’instauration des quotas, un mot tabou en France, qu’il vienne des minorités, ou des dirigeants comme ce fut le cas avec l’affaire des « quotas en équipe de France ».

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