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QUAND LES NÉGRIERS DU ZONG NOIENT 122 NOIRS MALADES POUR TOUCHER LEUR ASSURANCE-DÉCÈS

Pour la loi anglaise, l’esclave est un article banal pouvant être noyé lors de son transport pour sauver le reste de la cargaison.

Le 29 novembre 1781, Luke Collingwood, le commandant du navire négrier britannique Zong est salement embêté. Dans la cale, la marchandise est en train de se gâter. Chaque matin, l’équipage doit balancer par-dessus bord plusieurs dizaines de cadavres. Les requins n’ont jamais été aussi gras. Ces bachibouzouks de trafiquants lui ont refilé de la marchandise malade, atteinte de dysenterie, de fièvres, de diarrhée, ou encore de la variole. À ce rythme de décès, il mangera bientôt la baraque. Chaque Nègre mort correspond à une perte sèche de 35 livres sterling, environ le prix de vente d’un esclave en Jamaïque, la destination du Zong. James Gregson et les autres copropriétaires de la cargaison seront furieux contre lui. D’autant que lui aussi est intéressé au bénéfice. N’est-ce pas pour cela qu’il a entassé 440 Africains à bord, 2,8 fois plus que la charge ordinaire d’un négrier de la taille du Zong ?

L’équipage n’est pas très vaillant, lui non plus. Déjà sept marins sont morts de maladie depuis le départ de São Tomé, le 6 septembre 1781. Le capitaine Luke Collingwood, un ancien chirurgien, est donc très inquiet. Une soixantaine d’esclaves perdus, ça suffit ! Il n’y a plus qu’une chose à faire : balancer à la flotte tous les esclaves malades avant qu’ils ne meurent à bord et ne contaminent les autres. C’est parfaitement légal ! Il ferait beau voir qu’on interdise à un honnête commerçant de disposer de sa marchandise à son gré. D’autant que noyer un esclave volontairement pour sauver le reste de la cargaison donne lieu à une indemnisation par les assureurs. Incroyable mais vrai ! Chaque esclave sacrifié permet de recevoir 30 livres, alors qu’un esclave mort de maladie ou même déposé vivant sur une île ne donne droit à aucun remboursement. Collingwood, qui a débuté sa carrière chez Lakshmi Mittal, n’a pas une hésitation à prendre sur les mesures qui s’imposent.

Escroquerie à l’assurance

Il ordonne à son équipage de jeter à l’eau les esclaves malades. Il n’y a que le quartier-maître James Kelsall pour s’insurger contre cette solution radicale. Les autres appliquent la consigne. Ils attachent les malades deux par deux au moyen de lourdes chaînes avant de les envoyer rejoindre Yannick Agnel s’entraînant autour du Zong. Le 29 novembre, premier jour du massacre, 54 esclaves sont sacrifiés. Ils hurlent, se débattent, s’agrippent les uns aux autres, mais rien à faire, le capitaine et les marins sont sans pitié. Ils ne voient pas des hommes, mais des marchandises avariées et la perte de leur profit. La loi est de leur côté. Ces imbéciles de Nègres feraient mieux de leur faciliter la tâche. Le lendemain, même horreur : quarante-deux autres « ballots humains » sont noyés. Et encore vingt-six, le 1er décembre. Ce jour-là, dix esclaves effrayés par l’inhumanité des Anglais préfèrent encore en finir immédiatement avec la vie. Ils sautent à l’eau. C’est donc un suicide qui ne donne pas droit à une indemnité ! Mince satisfaction.

Après une traversée de 112 jours (soit deux fois plus longue que la moyenne observée habituellement), le Zong, finit par jeter l’ancre en Jamaïque, le 28 décembre, avec 208 Africains survivants. Soit une perte de 53 %. Petite justice, Collingwood, très malade, meurt trois jours après le débarquement. Dès que le navire est de retour à Liverpool, les copropriétaires du Zong déclarent leurs pertes aux assureurs pour toucher l’indemnité correspondant aux 122 esclaves sacrifiés. Dans son journal, Collingwood avait justifié le massacre par le manque d’eau à bord. Ce que dément le quartier-maître. Du coup, les syndicats des assureurs de Liverpool soupçonnent une escroquerie à l’assurance et font un procès qui s’ouvre le 6 mars 1783. Lors d’un premier jugement, le tribunal donne raison aux propriétaires. Appel des assureurs.

« Les Noirs sont des marchandises »

Lors du procès en appel, plusieurs anti-esclavagistes célèbres, tel Granville Sharp, entrent dans la danse, révulsés par le sort des Africains arrachés à leur terre natale. Mais le procureur général d’Angleterre et du pays de Galles les prend de haut : « Quelle est cette revendication que des êtres humains ont été jetés par-dessus bord ? Ceci est un cas de biens et de marchandises. Les Noirs sont des marchandises et des biens appartenant à un propriétaire, c’est une folie d’accuser ces hommes honorables ayant agi correctement de meurtre. Ils ont agi selon la nécessité et de la manière la plus appropriée. Feu le capitaine Collingwood a agi dans l’intérêt de son navire et pour protéger son équipage. Remettre en question l’expérience d’un capitaine qui a longuement navigué et qui est fortement estimé est une folie, tout spécialement quand on parle d’esclaves. Le cas jugé est le même que si du bois avait été jeté par-dessus bord. »

En fin de compte, Lord Mansfield, qui préside la Cour de justice, refuse l’indemnisation, jugeant que le manque d’eau à bord découlait d’une mauvaise gestion du navire par le capitaine. Du reste, cette excuse est d’autant plus inepte qu’en arrivant en Jamaïque, le Zong dispose encore de 1 900 litres d’eau douce. Il reproche également au capitaine d’avoir surchargé son navire. Mais le procès du Zong n’est que celui d’une indemnisation de marchandises. À aucun moment il n’est question d’accuser de meurtre Collingwood et son équipage. Au moins fait-il connaître à l’opinion publique anglaise la cruauté du commerce des esclaves. Cette prise de conscience conduira le Parlement britannique à voter la loi interdisant la traite atlantique (The Slave Trade Act) le 23 février 1807, ratifiée par le roi le 25 mars.

Source : lepoint.fr

Image d’illustration : Représentation des esclaves noirs entassés dans le négrier britannique « Zong ».

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