Sans surprise, l’homme fort de Khartoum, Omar el-Béchir, 71 ans, au pouvoir depuis vingt-six ans, a été réélu à la tête de son pays, avec 94,5% de voix. Cette présidentielle couplée avec des législatives et des régionales avait été boycottée par les principaux partis d’opposition. La faible participation (46,4%) avait conduit les autorités à repousser d’une journée la durée du scrutin, étalé initialement sur trois jours. Parcours d’un autocrate en 10 dates.
1989 : Un coup d’Etat militaro-islamiste. Le 30 juin 1989, le général Omar el-Béchir renverse le gouvernement élu du Premier ministre Sadeq al-Mahdi et s’empare du pouvoir, avec le soutien de l’islamiste Hassan Tourabi, dirigeant du Front islamique national. Le nouvel homme fort est issu d’une famille paysanne modeste, mais a rejoint l’armée très jeune, montant rapidement en grade, surtout depuis qu’il a combattu contre Israël lors de la guerre du Kippour en 1973. La junte militaire dissout les partis politiques, les syndicats, et impose la charia, aggravant les dissensions entre le Nord musulman et le Sud peuplé en majorité d’animistes et de chrétiens. Sous l’influence de Tourabi, l’armée est islamisée. Khartoum devient par ailleurs la plaque tournante des islamistes internationaux et accueille notamment le chef d’al-Qaïda Oussama ben Laden qui vécut au Soudan jusqu’en 1996.
1993 : « Parrain du terrorisme international ». Isolé sur le plan diplomatique, le Soudan dirigé par des islamistes est mal vu par les Américains. L’attentat du World Trade Center de New York (février 1993) renforce la détermination de Washington de neutraliser le régime soudanais. Le 18 août 1993, le département d’Etat inscrit le Soudan sur la liste des Etats parrainant le terrorisme, ouvrant la voie à des sanctions économiques et commerciales qui serontimposées à ce pays à partir de 1997. En 1998, Clinton fera même bombarder le Soudan en représailles après les attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salam la même année.
1999 : Tournant politique. Les relations entre « Béchir le militaire » et « Tourabi l’islamiste » se détériorent, avec le premier se rapprochant du camp des « pragmatistes » au sein de l’armée. Pour se démarquer de l’islamisme radical pointée du doigt par la population comme la principale cause de la détérioration de l’image du Soudan à l’international, Béchir met à l’écart son ancien mentor et allié Hassan Tourabi. Il assume désormais seul le pouvoir, en s’appuyant sur ses proches compagnons militaires.
2000: Manne pétrolière. Le boom pétrolier que connaît le Soudan à partir du tournant du millénaire rend Béchir populaire, notamment auprès de la population urbaine qui bénéficié le plus de ce cette production. Plus de 70% des revenus d’exportation du pays viennent du pétrole qui est, pour l’essentiel, pompé dans le Sud. Grâce aux recettes du pétrole (10 milliards d’euros en 2010), nombre de projets d’infrastructure ont vu le jour, mais majoritairement dans le Nord. Les zones frontières où vivent des tribus non-arabes, n’ont pas bénéficié des projets de développement du parti au pouvoir, ce qui a suscité mécontentement et frustration. Ces discriminations seront à l’origine des insurrections réclamant un partage plus juste de richesses.
2003 : Drame du Darfour. Depuis 2003, la province du Darfour, dans l’ouest du pays, est en proie à une guerre civile opposant Khartoum à des groupes rebelles. Les insurgés d’origine négro-africaine s’estiment lésés économiquement par l’élite arabe. Ils réclament la fin de leur marginalisation et un partage de pouvoir avec le gouvernement central. Soucieux de ne pas perdre ses privilèges, Khartoum arme des milices arabes – les Janjawid de sinistre mémoire – et dépêche les forces gouvernementales en renfort. En 12 ans de conflit,les violences au Darfour ont fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU. Depuis 2007, une force commune ONU-Union africaine, la Minuad, forte de 15 000 policiers et militaires et 4 000 civils, est déployée pour maintenir la paix et créer des conditions pour la réhabilitation des déplacés du Darfour. La mission de la Minuad est compromise par des attaques par des forces pro-gouvernementales.
2005 : Fin de la guerre civile. L’accord de paix globale signé en 2005 entre Khartoum et leMouvement populaire pour la libération du Soudan (MPLS) a mis fin à 21 ans de guerre civile. Ce conflit a fait deux millions de morts et quatre millions de déplacés. L’accord de paix entre les belligérants avait été négocié par le vice-président soudanais de l’époque Osman Taha et John Garang, le leader du MPLS, sous l’égide des Etats-Unis. Avec à la clef la levée de l’embargo qui pèse sur l’économie soudanaise. La promesse qui n’a pas été tenue.
2009 : Impunité. S’inquiétant des crimes commis au Darfour contre la population civile, le Conseil de sécurité a saisi en 2005 la Cour pénale internationale (CPI). Celle-ci a lancé en 2009 et 2010 des mandats d’arrêt visant quatre responsables du régime soudanais, dont le chef de l’Etat. Omar el-Béchir est poursuivi pour des chefs d’inculpation allant du génocide aux crimes contre l’humanité, en passant par des crimes de guerre. Or les mandats d’arrêt de la Cour n’ont pas été suivis d’effet, ni le Soudan ni les pays où le chef d’Etat soudanais s’est rendu (une cinquantaine de virées à l’étranger) ne voulant arrêter et livrer Béchir à l’instance internationale. Confrontée à ce manque de coopération, la CPI a décidé en décembre 2014 de suspendre les enquêtes sur les crimes que l’autocrate soudanais est accusé d’avoir perpétrés.
2010 : Sécession. Le référendum d’autodétermination du Soudan du Sud, prévu dans l’Accord de paix globale signé entre Khartoum et le MPLS en 2005, a été organisé comme prévu en janvier 2011. 99% des Soudanais du Sud ont voté en faveur de la sécession de leur province. Le 9 juillet, le Soudan du Sud a proclamé son indépendance, mais des questions cruciales restent à régler telles que le partage des revenus pétroliers, la démarcation de la frontière et le statut de zones frontalières contestées.
2013 : Emeutes de la faim. En septembre 2013, Khartoum ainsi que les principales villes du pays sont le théâtre d’émeutes de la faim, suite à la hausse brutale du prix du pétrole et des prix des denrées de base. Avec la sécession de sa province australe, le Soudan a perdu trois quarts de ses réserves pétrolières, ce qui a des effets catastrophiques sur l’économie. Le quasi-doublement des prix déclenche des manifestations spontanées, inédites depuis 1989. Les manifestants sont impitoyablement réprimés. Les violences policières font 200 morts, un millier de blessés et plus de 3 000 arrestations. Pris de court, le régime craint de voir la population se soulever en masse, influencée par les révoltes arabes. « Le régime en a profité, a expliqué Jérôme Tubiana à RFI, pour se durcir et recentrer le pouvoir autour des services de renseignements et de sécurité et les faucons de l’armée ». « Les membres de l’opposition officielle et de la société civile, et les journalistes se sentent de plus en plus en danger. Beaucoup souhaitent une mobilisation populaire et pacifique comme elle a eu lieu ailleurs lors du« printemps arabe », mais craignent une répression à la Syrienne ».
2015 : Suffrages staliniens. Le régime soudanais remporte avec une écrasante majorité les élections présidentielle et législatives qui sont les deuxièmes élections multipartites depuis le coup d’Etat de 1989. Béchir est réélu à la tête du pays avec plus de 94% des voix dès le premier tour. Son parti le « National Congress Party » a également gagné haut la main les législatives, en remportant 323 des 426 sièges au Parlement. Ces élections n’en restent pas moins controversées à cause de leur boycott, d’une part, par les principaux partis de l’opposition d’une part et le taux de participation plutôt faible (46,4%), d’autre part. Elles ont par ailleurs été désavouées par les bailleurs de fonds occidentaux qui reprochent au régime soudanais de ne pas avoir engagé un véritable « dialogue national » avec l’opposition. L’initiative prise dans ce sens en janvier 2014 après l’entrée en dissidence de plusieurs figures du régime réclamant des réformes urgentes, a fait long feu. Avec les sanctions internationales pesant de plus en plus sur l’économie soudanaise et une dette qui gonfle, Omar el-Béchir n’aura peut-être pas d’autre choix que d’engager les réformes politiques et de dialoguer avec ses opposants s’il veut aller jusqu’au bout de son nouveau mandat.
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