Le contraste est saisissant. Difficile d’imaginer, en effet, que derrière la façade de ce petit immeuble de la rue des banques, dans le quartier du Plateau, aux murs comme « dévorés » par un immense manguier, se cache le show-room trendy d’une jeune créatrice ivoirienne vendue dans les boutiques en vue de Lagos, Cape Town ou New York.
Remarquée par Solange Knowles
Sélectionnée cette année dans la première liste du Vogue Talent (un concours lancé par le magazine Vogue Italia), remarquée par Solange Knowles (qui lui a consacré un article sur le blog de son label, Saint Heron), régulièrement invitée dans les grands shows fashion du continent, Loza Maléombho, 30 ans, pourrait avoir pris la grosse tête. Mais la jeune femme est aussi humble qu’elle est déterminée. Sont-ce les citations de Maya Angelou, Paulo Coelho, Lupita Nyong’o ou encore Steve Jobs qu’elle a reproduites à la craie sur un mur d’ardoise dans son bureau qui lui confèrent cette force tranquille ? « Ici, je me sens plus épanouie, explique-t-elle. Je suis obligée d’être là pour superviser les productions. À New York, c’est plus « relationnel », je fais plus un travail de RP, de relations avec les médias. Ici, j’ouvre ma parenthèse créative, j’ai toutes les matières premières qui m’inspirent », dit-elle d’une voix calme et posée. Six mois par an, Loza vit sur les bords de la lagune Ebrié. Le reste du temps, elle retrouve les États-Unis, où elle a grandi, après un détour par le Brésil, où elle est née. Après des études d’infographie à l’université des Arts de Philadelphie, quelques stages chez des créateurs de mode – qui lui enseignent le patronage -, elle passe une année chez Bloomingdale’s, le grand magasin américain, comme vendeuse assistante. Une expérience très riche, car elle lui enseigne les rouages du commerce textile.
Un sens inné de la silhouette
C’est en 2012 que LM, sa marque, prend son envol. Sa collection automne-hiver impose une patte résolument nouvelle: ses vestes asymétriques en kita matelassé associées à des jupes évasées révèlent un sens inné de la silhouette. Épaules structurées, tailles joliment révélées par un jeu de découpes qui évoquent des boucliers : la jeune femme invente son propre vocabulaire. Sa principale source d’inspiration ? Le patrimoine culturel africain. « Imaginez, dit-elle, rien qu’en Côte d’Ivoire, avec près de 60 ethnies, nous avons un patrimoine esthétique peu ou pas utilisé dans la mode. J’ai envie de le sortir de l’ombre, de le valoriser. » En témoigne la collection de l’hiver prochain, inspirée par les masques Zaouli. Des tissus 100 % naturels, de la toile de jute, du coton, des tissages traditionnels baoulé, des finitions en raphia – et toujours des découpes audacieuses et des pièces ultra-structurées. Comme si une bourrasque new-yorkaise s’était engouffrée sous le costume traditionnel… Le propos est clair. Alara, le concept store de luxe nigérian, Merchants on Long, la boutique de la crème des créateurs africains, basée à Cape Town, en Afrique du Sud et une boutique branchée de Brooklyn lui ont commandé chacune plusieurs dizaines de pièces. Pendant un an, les collections de Loza Maléombho ont été fabriquées à Grand-Lahou, où vivent ses grands-parents.
De Grand Lahou à Abidjan
Aujourd’hui, c’est dans la capitale que sont ses ateliers. Quand elle n’est pas au marché d’Adjamé, à la recherche de petits trésors textiles, c’est là, dans cet écrin qui lui ressemble, métisse et inspirant, qu’elle dessine ses collections. Un vestiaire qui séduit aujourd’hui majoritairement les expatriés et les touristes de passage à Abidjan. « Les Ivoiriens aiment consommer à l’étranger, observe-t-elle. Mais avec les réseaux sociaux, les choses sont en train de changer », note celle dont le rêve est de « voir les Africains consommer africain ». C’est grâce à ce « tam-tam » moderne, parce que partagé des centaines de fois sur Instagram, que ses spartiates en plastique blanc et noir se sont vendues comme des petits pains à New York. Le buzz, Loza Maléombho l’a encore fait cette année avec une série photographique baptisée « Alien Nation» où elle se met en scène, dans une série de selfies. « Après ce qui s’est passé à Ferguson, l’été dernier, j’ai senti un sentiment de désespoir sur les réseaux sociaux et dans les rues de New York. J’ai voulu promouvoir l’élégance et la beauté noires, exposer ma fierté d’être une femme noire », dit-elle. Et une artiste. Car le vestiaire que propose cette créatrice à l’esthétique savamment orchestrée est bien plus que de la mode « fusion ». C’est l’œuvre prometteuse d’une femme qui a des choses à dire…
Source : http://afrique.lepoint.fr/life-style/ici-abidjan-loza-maleombho-elle-fait-swinguer-les-tissus-africains-28-05-2015-1931934_2259.php
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