Les hommages à l’endroit de Toni Morrison se sont multipliés depuis l’annonce de sa mort le mardi dernier. Un cependant, celui de Muriel Pénicaud, n’a pas manqué de susciter une vague d’indignation. Selon la ministre française du Travail, l’auteure afro-américaine et prix Nobel de la Littérature de 1993 était celle grâce à qui « les noirs ont enfin pu entrer par la grande porte dans la littérature ». Un commentaire mal accueilli aussi bien au sein de la politique française que dans les communautés noires qui lui reproche sa connotation explicitement raciste.
« Sortie de route »
« Hommage à une très grande dame, écrivaine, poète et militante, Toni Morrison. Grâce à elle, les noirs (sic) ont enfin pu entrer par la grande porte dans la littérature. Les mots réveillent les consciences et les cœurs, ils font reculer le racisme et la haine. Les mots ont un pouvoir », écrivait mercredi la ministre du Travail dans un tweet depuis supprimé.
Pour de nombreux internautes, scandalisés, le tweet de la ministre a été ressenti comme raciste. C’est ce que la Ligue de défense noire africaine (LDNA) a exprimé dans une déclaration publiée vendredi. « Comment expliquer qu’à tous les niveaux de la petite école, aux plus grandes universités françaises, aux ministères, l’homme marron d’Afrique, le « nègre » est vu comme un être qui n’est pas encore « rentré dans l’histoire » pour les uns, ou qui « [est] enfin rentré par la grande porte de la Littérature » pour les autres ? S’insurge le groupe panafricain. N’est-ce pas là la preuve tangible de l’existence de l’ethnohiérarchisme que nous dénonçons, que nous avons défini comme étant ce mal silencieux comme une tumeur cancéreuse de la pensée, qui pollue les esprits en inoculant dans chacun « des opérateurs de comparaison entre les ethnies ? »
« Vous avez l’excuse de l’ignorance »
De plus, le commentaire de la ministre est factuellement faux. Alain Mabanckou, écrivain franco-congolais lauréat du prix Renaudot en 2006, a souligné qu’un « noir de la Guyane », René Maran, a remporté le prix Goncourt en 1921 alors que le Nigérian Wole Soyinka a quant à lui reçu le prix Nobel de littérature en 1986. « Vous avez l’excuse de l’ignorance, pour cela je vous pardonne ce dérapage choquant », conclut ce dernier.
Laélia Véron, spécialiste de langue française à l’université d’Orléans, a, pour sa part, exprimé son malaise vis-à-vis de la sortie de Mme Pénicaud. « Merci à Muriel Pénicaud de ne pas nous infliger ses clichés racistes et ignorants, s’est-elle offusquée. Au lieu de tweeter des inepties, qu’elle lise par exemple le magnifique discours d’hommage de Toni Morrison au très grand écrivain noir James Baldwin ».
Même indignation dans les rangs de l’opposition française. Alexis Corbière, député de La France insoumise s’est révolté devant « Tant de mépris, d’ignorance et de condescendance devrait entraîner que cette dame sorte vite par la petite porte de l’histoire ».
La ministre qui a finalement retiré son tweet polémique aura certainement appris une leçon de toutes ces réactions : à l’avenir, elle tournera sept fois, non sa langue, mais son pouce avant chacun de ses tweets.
NN
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