Kerfalla Sissoko est un joueur de football-amateur en Alsace. Victime d’une agression raciste lors d’un match de football amateur entre Benfeld et Mackenheim en 2018, Kerfalla Sissoko a été convoqué ce mardi 28 janvier devant le tribunal correctionnel de Colmar en tant qu’accusé. Une situation assez étrange, qui bouleverse la vie de ce jeune sportif.
Une cagnotte a été lancée pour permettre à l’ancien joueur de foot de réunir les 1 000 euros nécessaires pour déposer une plainte pour « injures à caractère racial ». Mais Kerfalla se dit « délaissé » et ne comprend pas ce qui lui arrive.
Kerfalla Sissoko et deux autres footballeurs victimes d’agression et d’insultes racistes en 2018
Tout commence le dimanche 6 mai 2018. Trois joueurs de l’équipe de football de Benfeld ont été insultés et agressés violemment par des supporters de l’équipe de Mackenheim. L’un d’eux a perdu connaissance sous les coups, Kerfalla Sissoko. L’enquête est ouverte, que s’est-il réellement passé?
Selon plusieurs témoignages, quelques minutes avant la mi-temps du match contre l’AS Benfeld, plusieurs personnes dont des joueurs de Mackenheim, se sont ruées sur les quatre joueurs noirs de l’équipe de Benfeld pour les frapper. Kerfalla Sissoko sortira de la rixe avec une fracture de la mâchoire et aux côtés. Un autre joueur a eu la lèvre coupée et un troisième des contusions.
Des témoignages accablants pour Mackenheim
Au coup de sifflet du match, immédiatement se font entendre des cris racistes et autres injures à l’endroit des quatre joueurs noirs de Benfeld. Kerfalla Sissoko, 24 ans, tourneur-fraiseur originaire de Guinée et en France depuis 4 ans, préfère les ignorer.
« On me disait “sale nègre”, “retourne dans la brousse d’où tu viens”, ce genre de choses… Et puis les joueurs de Mackenheim donnaient des coups, n’étaient pas très réglo. Mais bon, c’est parfois comme ça le foot. On se disait, ils sont dominés, ils sont énervés, c’est ainsi. Je m’en suis ouvert à l’arbitre, j’ai signalé qu’il y avait des enfants que ce n’était pas un exemple pour eux de nous parler ainsi. Ça se voyait qu’ils n’étaient pas là pour le foot. Bon… le match a continué puis un peu avant la mi-temps, un de mes équipiers est frappé. Il tombe au sol et je vois un joueur de Mackenheim lui marcher dessus. Je l’arrête et appelle l’arbitre. Et là, le gardien de leur équipe me frappe. Je reçois plusieurs coups, j’ai juste le temps de voir quelqu’un arriver avec un couteau avant de m’évanouir. » Témoignage de Kerfalla Sissoko, 2018.
Ce jour-là, le pire aurait pu se produire. Transporté aux urgences de l’hôpital de Sélestat, inconscient, Kerfalla n’en sortira qu’aux environs de 2h du matin. Le match interrompu, les pompiers et la gendarmerie ont été appelés…par le staff de Benfeld. Pour Jean-Michel Dietrich, le président de l’AS Benfeld, « l’attitude du club de Mackenheim est inexcusable et assez étonnante, ils ne nous ont pas aidé! »
Les témoignages qui s’en suivront confirmeront tour à tour la volonté manifeste de « faire mal » et l’acte raciste de certains protagonistes. Moudi Laouali, 28 ans, né au Niger, est le joueur qui a été mis à terre en premier. Pour lui « il n’avait jamais vu un tel déchaînement de violence, on aurait dit qu’ils n’attendaient que ça ! »
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Kerfalla Sissoko et ses anciens co-équipiers de « victimes » à « accusés »
Presque deux ans après le drame d’Alsace, l’affaire refait surface. Cette fois-ci, le vent semble avoir tourné. En dépit des nombreux témoignages dont celui du président du club, Kerfalla et Moudi sont passé devant le juge ce mardi 28 janvier 2020… sur le banc des « accusés »! Avec eux, deux autres joueurs de l’équipe de Mackenheim.
Kerfalla Sissoko ne comprend pas : « Je passe de victime à accusé alors que j’ai fourni les documents médicaux (attestant d’une fracture de la mâchoire et aux côtes, ndlr). »
Pour l’avocate de Kerfalla, Me Caroline Bolla, l’enquête de la gendarmerie n’a pas retenu le caractère raciste de cette affaire.
« Quand on lit le dossier pénal, plus personne n’a rien entendu, comme si les insultes racistes étaient une invention… » « Retourne dans ta brousse, » « sale nègre… » Ces propos infâmes ont été laissés de côté par la gendarmerie, qui n’a pas retenu cet aspect des témoignages des victimes. Me Caroline Bolla
Et comme si cela ne suffisait pas, l’ancien président de l’AS Benfeld Jean-Michel Dietrich n’a pas été convoqué en tant que témoin pour ce procès.
« Je leur répéterai bien qu’ils ont subi des propos racistes. Si ça avait été qu’une équipe qu’ils voulaient taper, pourquoi seulement les joueurs d’origine africaine ont été frappés ? » Jean-Michel Dietrich.
Manque de Solidarité
Depuis, une cagnotte a été ouverte pour réunir 1000 euros afin de déposer plainte avec constitution de partie civile pour « injures à caractère racial » . Le joueur n’ayant pas les moyens de réunir la somme.
Malgré certains soutiens tels que la Fondation Thuram ou du collectif antiraciste strasbourgeois D’ailleurs nous sommes d’ici qui ont apporté leur soutien au début de l’affaire, Kerfalla se sent « délaissé ». Il dénonce notamment un manque de solidarité dans l’Alsace. Selon son avocate, en l’état actuel du dossier judiciaire, l’ancien joueur de football risque « plusieurs mois de prison avec sursis. »
Pour Jean-Michel Dietrich, la Ligue de football amateur et les institutions judiciaires sont responsables de cette « situation lamentable ». Notamment pour avoir expressément fait traîner l’affaire pendant deux ans. Une volonté manifeste de vouloir étouffer l’affaire, de ne pas lui donner écho auprès des médias.
Le football amateur à la traîne en matière de sensibilisation
Dans cette affaire, ce n’est pas la première fois que Kerfalla Sissoko et Moudi Laouali se retrouvent parmi les accusés. En août 2018, la délégation alsacienne de la Ligue de foot amateur du Grand Est a confirmé en appel la condamnation de deux joueurs de Benfeld et de deux joueurs de Mackenheim à 10 matches de suspension. Kerfalla Sissoko n’a plus jamais chaussé de crampons depuis.
Cette affaire met en lumière la sempiternelle problématique du racisme dans le sport. Si dans le football professionnel, les mesures sont prises pour tenter de repousser le phénomène, dans le football amateur rien n’est fait pour. On l’a déjà martelé ici, et les médias ne cessent de sensibiliser sur ce problème qui tue le sport-roi.
Pour Kerfalla, s’il n’a plus souhaité reprendre le chemin des pelouses, comme Moudi Laouali qui lui a remis les crampons avec le club de Kilstett, dénoncer cette pratique dans le football amateur permettra d’ouvrir les yeux de tous sur ce problème.
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