Fils de panthère
La naissance de Lesane Parrish Crooks se fait sous les auspices de la radicalité. Sa mère, appartenant au mouvement des Black Panthers, est en prison pour planification de projets terroristes lorsqu’elle accouche de celui qu’elle rebaptise bientôt Tupar Amaru Shakur, du nom d’un souverain aztèque ayant lutté contre les conquistadores espagnols et d’une formule rituelle arabe de remerciement à Dieu. Né dans le secteur est de Harlem à New York, Tupac, dont le père biologique a quitté le domicile conjugal bien avant la naissance, est élevé au milieu de militants de la cause afro-américaine aux positions plus que radicales. Lorsque son beau-père est incarcéré à vie pour le meurtre de policiers, sa famille est obligée de déménager dans des foyers pour mal-logés et sans-abris. C’est donc de foyer en foyer et de déracinement en déracinement que grandit Lesane Crooks qui, cependant, ne devient guère un voyou pour autant.
Théâtre ? Ballet ? Non, Rap.
Au contraire, c’est au théâtre qu’il s’affirme, rejoignant une compagnie de comédiens de Harlem à l’âge de 12 ans avant de s’inscrire dans une école d’art dramatique à Baltimore. Bizarrement, outre le répertoire classique, il y pratique également le ballet, ce qui peut apparaître plutôt surprenant pour un futur leader du mouvement Gangsta Rap. À 13 ans, repéré par un producteur, il se voit offrir la possibilité d’enregistrer un premier disque, mais sa mère refuse de laisser son très jeune garçon aux mains des requins du show business. De fait, l’histoire de Tupac, qui prenait alors de forts accents de « Billy Elliot », subit un coup d’arrêt. Il profite cependant de son séjour new-yorkais pour faire la connaissance d’un certain Christopher Wallace avec lequel il se lie d’amitié (celui-ci se fera connaître quelques années plus tard sous le pseudonyme de The Notorious B.I.G.) … Ironie du sort. Du fait des incessants déménagements dont il est victime, il doit renoncer à ses études et s’installe, toujours avec sa mère au beau milieu de Marin City, Californie où il découvre la rue, le trafic de drogues, les gangs et bien évidemment… le rap.
Oakland gangs
Au printemps 1991, une première participation comme danseur et chanteur au sein du collectif Digital Underground sur « This Is An EP Release » et l’album Sons Of The P. le sauve alors de la rue, mais l’installation de la famille Crooks à Oakland le déracine complètement et Tupac craque. Fréquentant les gangs, il commence réellement à être impliqué dans le trafic de drogues. Posant comme un gangster, jouant à fond la carte des codes Drugs, Gangstas and Guns – équivalent rap du slogan Sex & Drugs & Rock’n’Roll, Tupac enregistre son premier album The Lost Tapes en 1989 à l’âge de 18 ans. Son flow séduit d’emblée, et un second album2pacalypse Now voit le jour peu de temps après. Alors qu’il alternait alors les pseudos, de MC New York en passant par 2Pac ou Pac, il se décide enfin à adopter son patronyme militant comme nom de scène.
Hors la loi
Évoluant seul ou au sein de divers posses (collectifs), Tupac commence alors à vivre à la façon gangsta, arborant flingues, drogues, grosses cylindrées et petites pépées. Son groupe de l’époque, Outlawz, traîne ses guêtres aussi bien dans les studios que dans les rues d’Oakland et déjà quelques échanges de coups de feu avec la police ou avec d’autres gangs – échanges dont certains se terminent par des morts – valent au rappeur quelques séjours à l’hôpital. Parallèlement à ses activités musico-mafieuses, Tupac touche un peu au cinéma : on peut le voir dans Juice, où il tient le rôle principal, et Poetic Justice, partageant la vedette avec Janet Jackson, où son jeu d’acteur lui vaut quelques bonnes critiques. Il apparaîtra ensuite dans le film Above The Rim évoluant dans l’unviers du basket-ball, puis Menace II Society (1993), dans son élément. Le militantStrictly 4 My N.I.G.G.A.Z., son troisième album (le deuxième en son seul nom propre), fait du rappeur l’une des figure incontournable du mouvement gangsta. C’est d’ailleurs à cette occasion que les ennuis sérieux commencent. Non seulement il se voit accusé de viol sur une fan, mais c’est peu de temps après la sortie de l’album qu’il est victime d’une agression par balles dans les locaux de Bad Boys Records, le label new yorkais de Sean Combs alias Puff Daddy.
Rififi Rap
Histoire de vol de bijoux ayant mal tournée ou règlement de comptes entre rappeurs ? À ce jour, personne ne peut rien affirmer, les principaux protagonistes de l’affaire, Notorious B.I.G. et Tupac, ayant emporté leur secret dans la tombe. Cette fusillade impressionne tellement Shakur qu’il ne reste pas longtemps à l’hôpital, craignant d’y être achevé par les séides de Puff Daddy. S’il se montre effrayé dans les premiers temps, l’effroi va vite laisser place à la haine pure et au ressentiment contre l’équipe de Bad Boys Records, Notorious B.I.G. et Puff Daddy en tête. Cependant, tentant une ultime réconciliation avec son vieil ami Biggie, Tupac lui offre en 1994 la possibilité de l’accompagner sur quelques titres de son album Thug Life. Devant le net refus du New-Yorkais qui lui préfère définitivement l’écurie de Daddy, le ressentiment de Tupac lui fait composer « Hit’ Em Up », chanson où il flingue – littéralement – tous les rappeurs. L’album suivant, Me Against The World, sort en 1995, mais l’artiste n’aura pas le temps de profiter de son succès, étant incarcéré pour agression sexuelle.
Death Row
C’est à l’occasion de cette incarcération d’une durée de huit mois qu’il s’associe avec un incontournable du Hip-Hop West Coast, le Parrain (aux deux sens du terme) du mouvement Gansta, Suge Knight, alors redouté patron de Death Row Records et grand casseur de rotules devant l’éternel. Payant l’énorme caution de Tupac (1,4 million de dollars) en échange de la signature de ce dernier sur son label, il fait collaborer le rappeur avec les poulains les plus prestigieux de Death Row, de DJ Quik à Dr. Dre en passant par Snoop « Doggy » Dogg ou Daz Dillinger. Le résultat est l’immense All Eyez On Me, énorme carton de l’artiste qui lui ouvre les portes du marché international (« California Love » et son clip « madmaxien » en diable, le fait connaître en Europe, par exemple). Le cinéma lui déroule également le tapis rouge. Tupac se montre convaincant dans Bullet, Gridlock’d et Gang Related. C’est à cette époque que lui et Snoop Dogg sont victimes d’une arnaque de Suge Knight, détournant plusieurs millions de dollars de royalties pour rembourser ses dettes auprès de types louches ayant tendance à parler exclusivement italien entre eux. Si cela conduit Snoop à quitter Death Row (après, dit-on, un entretien avec le caïd du gangsta, suite auquel Snoop Dogg, suspendu par Knight à quelques dizaines de mètres au-dessus du vide, renonça à réclamer ses indemnités de départ… une forme de direction des relations humaines particulièrement efficace, en somme), Tupac, lui, reste fidèle à celui qui l’a sorti de la taule (ou craint trop la colère de Knight pour oser quitter son écurie : deux versions probables).
Ca devait mal se terminer
Le 7 septembre 1996 à Las Vegas, Tupac rencontre son destin. En sortant d’un combat de boxe en compagnie de Suge Knight et de quelques relations, il se fait tirer dessus à quatre reprises. Transféré immédiatement à l’hôpital de l’université du Nevada, il reste une semaine entre la vie et la mort. En dépit des prières de ses nombreux fans venus faire le pied de grue devant l’institut hospitalier, il décède le 13 septembre, ouvrant ainsi les hostilités armées entre les gangs de la côte Ouest et ceux de la rive Est. Un an plus tard, c’est au tour de son ex-ami devenu pire ennemi Notorious B.I.G. de devenir la victime d’une agression semblable, y laissant sa vie. Les motivations des assassins de Tupac restent aujourd’hui nébuleuses. S’agissait-il de fans de rap East Coast qui firent justice à leurs idoles flinguées par le rappeur dans « Hit ’Em Up » ? de tueurs payés par Puff Daddy ? Par Suge Knight qui, bien que lui-même légèrement blessé dans la fusillade capitalisa par la suite sur la mort de son poulain sans avoir à lui verser la moindre royaltie ? Les spéculations sont nombreuses et ont contribué à forger la légende du rappeur qui, bien que mort, continue à être l’artiste de Hip-Hop le plus vendeur à titre posthume. The Don Killuminati : The 7 Day Theory contenant des inédits de Shakur, sort quelques mois à peine après le décès de l’artiste et se voit couronné par neuf disques de platine. Plusieurs autres albums posthumes lui succèdent, prouvant que Tupac Shakur a composé suffisamment de morceaux restés inédits pour enrichir Death Row, mais faisant du rappeur une icône rentable et le plus gros vendeur de l’histoire du rap (son palmarès approche les 100 millions de disques vendus).
Militant (il ambitionnait de créer son propre parti), poète, rappeur, artiste de Hip-Hop, acteur, Tupac a écrit, au péril de sa vie, l’histoire du Gangsta Rap West Coast.
Copyright 2008 Music Story Benjamin D’Alguerre
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