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[HOMMAGE] 21 AVRIL 2003 : NINA SIMONE, L’ICÔNE DU JAZZ, NOUS QUITTAIT

Eunice Katleen Waymon a dix ans lorsqu’elle donne son premier concert au piano, dans l’église de la petite ville de Tryon, en Caroline du Nord, où elle est née 21 février 1933.

Fiers à juste titre, ses parents ouvriers se sont installés au premier rang, pour écouter leur fille (ils ont sept autres enfants). Mais on les fait déménager vers le fond, pour laisser la place à des blancs.

Cet événement est fondateur, la petite Eunice en conçoit une rage sourde qui la fera monter au créneau lors de la lutte pour les droits civiques, et qui la laissera révoltée à jamais. Ce jour-là, elle refuse de jouer tant qu’on n’a pas réintégré ses géniteurs à leur juste place, et jamais plus, elle ne se laissera faire, même si la vie ne lui sera pas toujours douce.

Casque d’or

À huit ans, elle découvre le piano à l’église, puis prend des leçons payées par l’employeur de sa mère comme femme de ménage, qui a entendu parler de son don. À 17 ans, elle s’installe à Philadelphie où elle donne des cours de piano et accompagne des chanteurs, pour financer ses études de musicienne classique à la prestigieuse Juilliard School Of Music de New York. Mais quand on est Noire, elle s’en rend bien compte, la tâche est plus difficile encore.

C’est à Atlantic City, où elle auditionne pour chanter dans un restaurant, que le patron lui suggère fortement, si elle veut la place, de chanter en même temps qu’elle joue. Nous sommes en 1954 et, pour que sa mère, fervente méthodiste, ignore qu’elle joue la « musique du diable », elle se choisit un pseudonyme : Nina, qui veut dire petite fille en espagnol, et Simone en hommage à l’actrice française de Casque d’or. Dans ce bar, elle joue du jazz, du blues, un peu de classique, et se forge petit à petit un réseau de spectateurs, qui la suivent de club en club. C’est en 1958 qu’elle enregistre son premier disque, une reprise de « Porgy & Bess », dont le bon accueil lui permet de signer avec le petit label Bethlehem Records.

Elle enregistre alors son premier album, Little Girl Blue, avec Jimmy Bond à la basse et Tootie Heath à la batterie. Totalement inexpérimentée, elle en cède tous les droits à son label en échange de 3000 dollars. Les droits futurs du seul « My Baby Just Cares For Me » lui en auraient fait gagner un million, après que Chanel ait choisi cette chanson pour illustrer un spot dans les années 80, la remettant au goût du jour…

Les années Colpix

Elle signe ensuite avec Colpix Records, un plus gros label, qui lui accorde toute liberté dans le choix et la réalisation de ses chansons. Elle sort entre 1959 et 1964 neuf albums chez Colpix, dont six live et une compilation : à cette époque, Nina Simone poursuit et ses études et son rêve d’instrumentiste classique, et elle chante de la pop pour gagner sa vie. Ces albums sont des florilèges de traditionnels, (« House of the Rising Sun »qu’elle reprend deux ans avant The Animals et Bob Dylan), de standards qu’elle redessine de sa touche, avec quelques compositions personnelles. Elle consacre également un album entier à ses versions de morceaux de Duke Ellington.

Mais en 1964, en plein mouvement des droits civiques, son militantisme est réactivé et renforcé par la situation politique et par ses fréquentations. Elle signe alors avec Philips, et sur son premier album pour la marque alors hollandaise, Nina Simone In Concert, elle termine par une protest song de sa main, « Mississipi Goddam », un hommage au militant des droits civiques assassiné Medgar Evers et une dénonciation des églises (et des enfants) brûlés par les membres du Ku Klux Klan, à Birmingham (Alabama).

Nina chante le blues

Sortie en single, la chanson sera boycottée dans de nombreux états du Sud des USA. Devenue par son talent et son attitude une rare diva, à la fois politique et artistique, Nina Simone poursuit une carrière marquée par ses engagements, avec six albums chez Philips. Elle chante dans les meetings, enchaîne les chansons féministes, reprend le mythique « Strange Fruit » de Billie Holiday, et voue son art à la défense des droits de son peuple. Elle écrit, avec le poète africain-américain Langston Hughes (un ami), « Backlash Blues », pour son premier album chez RCA, en 1967,Nina Simone Sings The Blues. Chez RCA, ce sont huit albums (dont deux live) qu’elle va produire, jusqu’en 1974, avec nombre de chansons clés : « Young Gifted & Black », sur l’album de 1970 Black Gold (qui sera reprise par Donny Hathaway et par Aretha Franklin), et cette perpétuelle gravité qui fait que Nina Simone n’est pas une « entertainer » mais une véritable artiste à la profondeur inégalée.

À l’orée des années 1970, la vie de Nina Simone va devenir compliquée. Elle quitte son pays pour s’établir un temps à La Barbade. Mais son mari-manager d’alors prend ça pour une façon de divorce ! Aussi elle n’a aucune idée de la manière dont sont (ou ne sont pas) gérées ses affaires, et quand elle revient aux Etats-Unis, elle réalise qu’elle encourt des poursuites pour des taxes et impôts non payés. Elle doit alors fuir, vers La Barbade, encore, où elle réside quelques années, en ayant une relation amoureuse avec le Premier Ministre Erroll Barrow.

Ensuite, sur l’invitation de son amie Miriam Makeba, elle s’installe au Liberia, puis elle vivra en Suisse, en Hollande avant de se fixer dans le sud de la France en 1992, à Carry-Le-Rouet, dans les Bouches-du-Rhône. Après son dernier album pour RCA, It’s Finished, en 1974, elle attend quatre années avant de se laisser convaincre d’enregistrer à nouveau, pour un petit label de jazz. Puis, elle continuera, bon an mal an, à sortir des disques, dont plusieurs live, puisqu’elle joue toujours sur scène pour un public fasciné par son aura de diva. Son dernier album studio, A Single Woman, chez Elektra, date de 1993.

Nina à l’écran

Si Nina Simone garde l’image d’une artiste solitaire, écorchée vive, son impact a été phénoménal sur plusieurs générations. Pour preuve, on citera les samples choisis ces dernières années par Timbaland, Common, Kanye West, Lil Wayne, Talib Kweli ou will.i.am (Black Eyed Peas) dans son répertoire, pour construire leurs chansons. Elle fut une interprète majeure, s’appropriant des standards avec une telle force qu’elle les faisait siens, même en français, sa version de « Ne me quitte pas » de Jacques Brel est incontournable. En grande prêtresse de la soul, elle a touché a tous les genres, folk, jazz, blues, classique, avec un égal bonheur. Elle a influencé radicalement nombre d’artistes d’aujourd’hui, de Mary J. Blige (qui devrait l’interpréter dans un biopic prévu pour 2009) a Alicia Keys ou Lauryn Hill, mais aussi eut un impact très fort sur John Lennon ou Jeff Buckley. Sur scène, elle fut une performeuse hors pair, se lançant dans des monologues enflammés. Quant à ses chansons, elles figurent au générique de plusieurs dizaines de films.

Après cette vie parfois chaotique (souffrant d’un désordre mental, elle pouvait devenir agressive et tira une fois sur le fils d’un voisin qui troublait sa concentration, une autre fois sur un employé de maison de disques qu’elle soupçonnait d’irrégularité sur ses royalties), cette rage dévorante contre l’injustice (elle était partisane d’une révolution dure, et opposée au pacifisme de Martin Luther King, à qui elle rendit pourtant souvent hommage), Nina Simone aura marqué le vingtième siècle, et inscrit son nom au panthéon des artistes majeurs. Elle décède en 2003, dans son village près d’Aix-en-Provence, d’un cancer du sein, à l’âge de 70 ans. Ses cendres seront éparpillées dans divers pays africains.

Copyright 2008 Music Story Jean-Eric Perrin

Source : universalmusic.fr

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