La journaliste française Fanny Pigeaud et l’économiste sénégalais ont publié le 27 septembre 2018, aux éditions La Découverte, un livre important sur le Franc CFA qu’ils considèrent être « l’arme invisible de la Françafrique« . Retour sur un système monétaire hérité de la colonisation et qui pèse encore aujourd’hui sur le développement des pays d’Afrique de l’ouest et centrale, en compagnie des deux auteurs.
Le Franc CFA en question
La France maintient-elle encore une emprise néocoloniale sur les états africains qui furent au cœur de son empire ? Au fondement de cette emprise, il y aurait, selon ses détracteurs, le franc CFA. Créé en 1939 à la veille de la Seconde Guerre mondiale par la métropole, les francs CFA (pour les trois ensembles d’alors, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Centrale et les Comores) participent à la création de la zone Franc, une zone monétaire fondée sur le franc métropolitain et dépendant des autorités de Paris. Cette monnaie a survécu à la décolonisation et perdure aujourd’hui.
Alors que le sujet de l’indépendance monétaire monte en Afrique francophone, la journaliste française Fanny Pigeaud et l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla entendent apporter les clés de compréhension de ce qu’ils tiennent pour être une atteinte à la souveraineté monétaire des pays membres de la zone Franc à travers leur livre. Ils entreprennent de déconstruire le discours de légitimation du Franc CFA en le resituant dans l’histoire de sa construction.
La zone « franc » de l’Afrique
Les deux auteurs introduisent leur ouvrage en rappelant les origines coloniales de cette monnaie des territoires français d’Afrique. Celle-ci a été créée en 1939, dans un contexte d’effondrement du système monétaire international et de montée du protectionnisme. Avec les indépendances, les zones monétaires coloniales ont toutes été démantelées à l’exception de la zone franc qui a survécu en Afrique grâce, entre autres, aux « accords de coopération » que la France a imposés à ses ex-colonies. Actuellement, l’espace franc CFA comprend deux unions monétaires : l’UEMOA qui regroupe 8 pays utilisant le franc de « la communauté financière africaine » émis par la BCEAO ; la CEMAC qui compte 6 pays utilisant le franc de la « coopération financière en Afrique centrale » émis par la BEAC.
Ces 14 pays forment avec les Comores les « pays africains de la zone franc ». La zone franc fonctionne selon des règles communes mises en place pour créer un environnement de « stabilité monétaire » permettant à la France et à ses entreprises de drainer les richesses des pays africains vers elles. Elles restent en vigueur et elles permettent à Paris d’avoir un contrôle non seulement sur la monnaie, mais aussi sur l’économie et la politique.
Pourquoi il faut abolir cette monnaie ?
Le point de vue de Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla que de nombreux économistes africains ont développé avant nous, est que le système CFA est un anachronisme institutionnel qui dessert économiquement les pays africains et les maintient sous la tutelle politique du gouvernement français.
Selon la journaliste et l’économiste, « plusieurs raisons devraient pousser les responsables de l’État français à envisager au plus vite la fin du système CFA. L’une d’elles est économique : le système CFA freine le développement des pays africains qui l’utilisent et contribue donc à créer de la misère, du chômage, de l’émigration. Les autorités françaises disent vouloir lutter contre l’ »émigration illégale », elles doivent par conséquent revoir la manière dont elles envisagent les relations avec les actuels pays de la zone franc si elles tiennent vraiment à avoir des résultats ».
« Une autre raison est liée à la démographie, s’accordent à affirmer les deux autres. En 1945, à la création du franc CFA, les actuels pays africains de la zone franc étaient moins peuplés que l’Hexagone. Aujourd’hui, le rapport est totalement inversé : ils comptent environ 162 millions d’habitants contre 64 millions en France. Cela veut dire que le contrôle exercé par le gouvernement français sur le système CFA va être de moins en moins facile à justifier ».
Le franc CFA est un instrument inventé par la France pour faire participer ses colonies africaines à sa reconstruction après la Seconde guerre mondiale. Il est aujourd’hui un pilier du fonctionnement du « pré carré » qu’elle est parvenue à maintenir, malgré les indépendances africaines.
Malgré sa petite taille, la zone franc joue même un rôle de soupape de sécurité pour la France, qui est une puissance déclinante sur le plan économique, comme l’illustrent ses déficits commerciaux vis-à-vis du G8 et de la Chine. Ce n’est qu’en Afrique qu’elle parvient à vraiment tirer son épingle du jeu.
Effets possibles d’une éventuelle sortie
Une sortie « collective » que Pigeaud et Sylla appellent « sortie panafricaniste » dans leur livre, suppose « que les pays africains dénoncent ensemble la convention de coopération monétaire et la convention de compte d’opérations qui les lient à la France. Les deux blocs monétaires – UEMOA et CEMAC – seraient maintenus dans un premier temps ».
Mais il n’y aurait plus de garantie française, plus de comptes d’opérations et plus de représentation française dans les instances de la BCEAO et de la BEAC. Les avoirs sur les comptes d’opérations repasseraient sous le contrôle des pays africains qui deviendraient responsables de leur politique monétaire et de change.
L’objectif des deux auteurs est « de donner à un public large, à la fois français et africain, et n’ayant pas obligatoirement de connaissances en économie, la meilleure information possible sur le franc CFA ».
« Côté africain comme côté français, il y a donc vraiment un vide en matière d’informations, soutiennent-ils avant de conclure : « Nous espérons contribuer à le combler et aider à une meilleure compréhension ».
NN
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