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[CULTURE] LIVRE : « NÈGRE PENDU », LA LIBERTÉ VIOLÉE LORS DU DÉBARQUEMENT EN NORMANDIE

 

Dans un monologue haletant, Léo Pitte revient sur les exactions commises par les GI après le débarquement en Normandie et décrit le fonctionnement d’une armée gangrenée par le racisme.

C’est une histoire comme on aimerait ne pas avoir à en lire, une histoire dont on souhaiterait qu’elle soit infondée. Un de ces épisodes de la Seconde Guerre mondiale si peu glorieux qu’il nous rappelle toute la vilenie et la bassesse dont les hommes savent parfois faire preuve. Ouvrage de fiction qui s’appuie « sur un socle historique sans s’inspirer de faits réels précis », Nègre pendu ne revient pas seulement sur les viols commis par les GI lors de l’opération Overlord, en Normandie. Il ausculte également le fonctionnement de cette armée de libération (qui fut parfois « pire que les nazis ») et, au-delà, celui d’une société américaine ségrégationniste qui se putréfie dans son racisme institutionnalisé.

« Ce qui est choquant, explique l’auteur, Léo Pitte, c’est de voir comment un peuple, un pays, qui vient rendre à la France sa liberté, sa démocratie, et l’aider à se débarrasser d’un régime raciste et antisémite peut avoir dans ses propres bagages le racisme et appliquer un régime ségrégationniste dans ses rangs. »

L‘historien d’origine ivoiro-algérienne revient sur la destinée des soldats « coloured du 320e bataillon du débarquement », qui établit son camp près de Colleville-sur-Mer, dans le Calvados, à la mi-septembre 1944. Réduits à l’unité de soutien logistique (ils ne combattent pas en première ligne), les Noirs sont cantonnés à part. D’un côté, le réfectoire et les tentes des Blancs, de l’autre, l’univers de ces êtres qu’on « exclut » « de l’espèce humaine ». Corvéables à souhait et parfaits boucs émissaires, ils sont entraînés dans leur déchéance par le lieutenant-colonel Wallace et ses hommes.

Virées dans la campagne

Chaque soir, l’officier blanc organise des virées dans la campagne normande, à la recherche de femmes à violer, « récompense » due aux libérateurs. « Alors après le repas du soir, filer se perdre dans la région. Les villages, les petites rues, les champs, les abords de fermes, les fermes, les coins perdus. Tout ça déborde de matière à se divertir. Tous les soldats d’Overlord sont de sortie la nuit. »

Tout est savamment planifié. Des soldats noirs sont enrôlés et ont pour mission d’aller kidnapper ces « médailles de chair » dans les fermes environnantes pour les apporter aux GI blancs planqués. Ces derniers leur feront subir les pires sévices. Les victimes ne retiendront que le visage de leurs ravisseurs, qui, pour la plupart, finiront la corde au cou après une parodie de justice devant la cour martiale. Ou une balle dans la tête, sans autre forme de procès. Mais les réprouvés se font également bourreaux et partent eux aussi en quête de femmes blanches – l’interdit tant fantasmé – et commettent l’irréparable.


Un fantasme : approcher, voire toucher, une femme blanche

Nègre pendu est un monologue haletant. L’un de ces engagés raconte, entre souvenirs, divagations et hallucinations, le quotidien de ces hommes qui ont un fantasme : approcher – voire toucher – une femme blanche. L’écriture est singulière, sans respiration : « C’est un flot de paroles qui se rapproche de la douleur de ces nègres qui se savent condamnés, explique l’écrivain. Ils ne se préoccupent pas de rhétorique, mais ils déversent cette vérité. Cette histoire est tellement sale qu’il fallait la cracher. »

Et d’ajouter : « Tous les mois de juin, on commémore le débarquement en Normandie, mais on ne parle jamais ni des viols de Normandes ni de ce que subissaient les GI noirs au sein de leur propre armée. Le non-dit historique m’intéresse. Quand il y a une telle faille, j’aime y glisser de la fiction pour en faire un roman. Très peu d’études historiques se sont penchées sur ces deux phénomènes. Je savais juste que, selon les archives, environ 111 nègres ont été pendus et que des officiers blancs ont participé à ces viols et ne sont pas passés à la potence. Ce vide et cette injustice m’ont poussé à faire de cette histoire un livre de fiction. »

Au final, c’est l’une de ces histoires honteuses qu’il nous faut lire. À travers ce récit singulier, Nègre pendu nous permet de prendre la pleine mesure de ce que deviennent les femmes en temps de guerre – des objets qui servent tout juste à assouvir les fantasmes d’hommes totalement déshumanisés par le pouvoir et la violence -, ainsi que les ravages provoqués par la société esclavagiste et son corollaire, le racisme.

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Nègre pendu, de Léo Pitte, éd. François Bourin, 120 pages, 12 euros

Source : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2812p084.xml0/

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