Introduction
La population afro-colombienne est issue des communautés africaines qui ont été amenées comme esclaves entre 1510 et 1851. Elle est africaine, bien sûr par ses ancêtres biologiques, mais aussi par ses composantes culturelles et spirituelles.
L’esclavage a été officiellement aboli en 1851, mais avec des obligations et non pas avec les pleins droits, exactement comme cela s’est passé aussi pour les indigènes. Ils restèrent ainsi des hommes pour ainsi dire sans existence légale, pendant encore des années, exclus comme individus des droits ethniques et de citoyenneté
Pendant 70 ans leur identité juridique s’est construite peu à peu, au gré des intérêts politiques. Il a fallu attendre 1991 pour que la nouvelle constitution les reconnaissent comme personnes juridiques et formant une communauté, tout comme les indigènes.
Mais la liberté de 1851 n’a pas été gratuite pour l’Etat. En effet, les grands propriétaires qui possédaient encore des esclaves ont plaidé la perte de leur capital et ont dû être indemnisés par le gouvernement. Et les noirs ? Personne ne les a indemnisés pour toutes les humiliations auxquelles ils ont été soumis, pour les mauvais traitements qu’ils ont dû supporter tout au long de ces siècles d’esclavage et surtout personne ne les a dédommagés pour la perte de leurs repères culturels.
L’apparition de l’esclavage
Comme chacun s’en doute, la population afro-colombienne n’est pas arrivée sur le continent américain de sa propre volonté. Ce fut un exode forcé lié au développement de l’esclavage qui commence au début du XVIéme siècle quand les colonies espagnoles se rendent compte que les indiens (maltraités, tués réduits en servage) n’étaient pas capables d’accomplir les travaux forcés qui leur étaient imposés. Il se posa alors un problème de main d’oeuvre pour continuer l’exploitation de cette belle terre.
Dès 1510, des millions de personnes de différents peuples et cultures furent kidnappés, enlevés à leurs Afrique Occidentale, pour être exportés (car ils était considérés comme de la simple marchandise) vers les colonies espagnoles et européennes en général. Un acte criminel qui dura 4 siècles, approuvé par l’église catholique qui le justifiait par le discours « ces gens n’ont pas d’âme humaine, ils ne sont pas égaux aux hommes européens, Dieu les a créés pour être au service des blancs ».
Source: Département d’Anthropologie Centre d’études sociales Prof. Jaime Arocha
La « marchandise » était alors envoyée en bateau pour servir les grands patrons. La taille des navires de transport des esclaves était immense, les marchands avaient un quota à transporter mais en réalité il y avait bien plus de noirs que ce que la douane permettait. Ils étaient de cultures variées (Arará, Lucumí, Carabali, Balanta, Congo, Angola, Bente, Biáfara, Mina, Biohó, Popó, Bran, Mandinga, Conú, Zapé, Aracú; Polú, Ocoró, Aponsá, Kalonge, etc) et nombreux avaient un haut degré de développement. Ils dominaient le bronze, l’or, le fer, l’art du tissage et la sculpture. Ils avaient une tradition minière et une expérience d’organisation sociale, politique et religieuse. *
Bibliothèque Luis Angel Arango.
L’arrivée des esclaves, ces « hommes sans âme », sur les côtes colombiennes apparaît comme l’affaire du siècle, une main d’œuvre de qualité, bon marché et corvéable à merci. Les noirs furent réduits au simple rang de « nègres », synonyme d’animal esclave et subordonné.
Au début du XVIIéme siècle, Carthagène* devient l’un des principaux ports autorisé par l’Espagne pour introduire des esclaves et la ville commence à être peuplée par des commerçants étrangers (Pays Bas, Portugal) qui profitaient de cette nouvelle affaire juteuse.
*Grâce au revenus du commerce des esclaves, Carthagène devient une ville riche qui attire le regarde de pirates. Ainsi, en 1697, elle est saccagée par le pirate français Jean Bernal Desjaean, Barón de Pointis, ce qui causera son déclin.
Bibliothèque Luis Angel Arango.
Au début du XVIIIéme siècle, suite aux continuels pillages des pirates, Carthagène perd son pouvoir économique et à la fois le monopole du commerce d’esclaves. Les commerçants blancs disparaissent et c’est ainsi qu’en 1708 il y avait une population de moins de 400 blancs et un établissement assez important de noirs et de mulâtres, qui faisait toutes sortes de travaux, entre autres l’artisanat, car les blancs (espagnols ou créoles) s’ils ne pouvaient pas faire du commerce préféraient errer dans la ville que de faire des métiers qu’ils dédaignaient.
Tableau du peintre Enrique Grau – Bibliothèque Luis Angel Arango.
Les principales destinations de la main d’oeuvre esclave étaient:
– l’exploitation de mines, l’ouverture et l’entretien de chemins, la construction d’ouvrages de génie civil ou les forteresses et murailles des cités comme Carthagène, Mompox ou Santa Marta (côte Caraïbe).
– travailler de la terre, s’occuper du bétail, femmes de ménages, majordome, rameurs…
– soldats, gardes du corps des commerçants, contremaîtres.
Bibliothèque Luis Angel Arango.
Enfin, ils furent exploités pour toute autre activité considérée comme du travail ignoble et sale. C’était une main d’oeuvre appréciée car, par rapport aux indigènes, ils étaient des gens corpulents, musclés, pleins de force. Le commerce des noirs fut ainsi une source d’accumulation de capital.
Peuplement noir
Le peuplement afrocolombien actuel est donc dû aux espagnols qui installèrent leur « marchandise » dans les principales zones d’exploitation agricole et minière ; aujourd’hui ce sont les départements de Cauca, Boyaca et Nariño. Et aussi par le « Cimarronaje » : les « Cimarrones » furent des esclaves africains qui conquirent leur liberté en se réfugiant dans la jungle et en formant ce qu’on appelle les Palenques, dans une partie de la zone Atlantique et Pacifique. Ils défendaient avant tout leur liberté, leur dignité et leur appartenance africaine.
Durant la société coloniale, la population africaine fut composée de la manière suivant
ceux qui étaient nés en Afrique, étaient appelés « bozales » (muselières) par les espagnols, ils parlaient diverses langues et appartenaient à différentes cultures.
les africains criollos (créoles), nés de parents africains, appelés par les espagnols « les nègres »
les afro-métisses, issus du mélange :
Pour qualifier ce métissage, les espagnols donnèrent différents noms plutôt fleuris : nègre, mulato, zambo, terceron, cuarteron, quinteron, tente en el aire, salto atrás, entre autres. Des mots qui avaient une connotation péjorative, ce qui a créee une échelle de valeurs et de traitements selon la pigmentation de la peau. De la colonie espagnole jusqu’à nos jours, ce phénomène est connu comme « blaqueamiento » (blanchissement) qui n’était autre chose qu’un appel à la pureté de sang noble, que seul les espagnols, selon eux, pouvaient avoir.
Aujourd’hui, dans la population afro-colombienne ont distingue 4 principaux groupes qui sont situés
Zone Pacifique , ils représentent environ du total du pays. Une région côtière, de forêts humides, de bassins hydrologiques, de mangroves. Ils ont des pratiques culturelles issues de leurs ancêtres africains comme la musique, la religion, le repas.
Archipel de San Andrés Providencias et Santa Catalina (nord de la Colombie), de racines africaine-anglaise-antillaise, ils maintiennent une forte identité caribéenne, utilisent le « bandé » comme langue propre et sont de religion protestante.
La communauté de San Basilio de Palenque, vers la côté Caraïbe, dans le comté de Mahates, département du Bolivar sur la côte Caraïbe. Un peuple qui obtint sa liberté en 1603 et constitua le premier peuple libre d’Amérique. La langue est « el palenquero ». Ce peuple est arrivé à survivre en partie grâce à son relatif isolement.
Quelques uns dans les principaux comtés et les grandes villes : départements de Valle del Cauca, Antioquia et Bolivar.
Actuellement la population afrocolombienne vit un processus accéléré de migration vers les grandes villes à cause du déplacement forcé dû aux différents groupes illégaux : guérilla, paramilitaires au service des multinationales, force armée officielle, cela pour pouvoir mettre la main sur la terre… (voir le cout réel de l’huile de palme). C’est ainsi qu’on trouve 29,2% de la population noire dan les grandes villes comme Carthagène, Barranquilla, Medellin, Cali et Bogota (voir la carte de répartition des minorités dans Géographie).
Cimarrones et Palenques
Dans la zone de Carthagène, comme ailleurs en Colombie et dans toute l’Amérique où existait l’esclavage, la servitude et la captivité créa une résistance pour la recherche de la liberté. Dès les débuts de l’esclavage, les africains essaient d’échapper à l’emprise de leurs oppresseurs. Ils deviennent des fugitifs qui cherchent à maintenir vivantes leurs racines et à reprendre leur liberté volée; pour cela ils forment ce qu’on appelle les Palenque qu’ils établissent habituellement dans des zones de forêt épaisse. Les noirs des Palenques sont appelés zapacos.
Le Palenque plus connus jusqu’au nos jours est le Palenque de San Basilio, dans le département de Bolivar. Au début du XVIIéme siècle, un esclave de Guinée-Bissau, Benkos Bioho (« Roi de la Matuna ») ou Domingo Bioho pour les autorités coloniales, est à la tête de la plus grande insurrection de noirs de la Colombie, dans la Ville de Carthagène. Dès son arrivage, il s’échappe de son maître Juan Gomez et il devient ainsi le premier Cimarron à organiser une résistance militaire qui révolutionne les structures de l’empire espagnol, qui depuis 1570, envoyait régulièrement des expéditions pour aller à la chasse des fugitifs.
Face à l’accroissement du nombre d’échappés, le gouvernement de Carthagène met en place un code de punitions : 100 coups de fouet pour ceux qui restaient plus de 15 jour hors de la maison de leur propriétaire, quant aux rebelles on leur coupait la tête et les membres.
Benkos créa un important mécanisme de défense pour obliger les autorités à négocier et de cette façon leur faire reconnaître leur existence humaine. Ce groupe organisé volait du bétail, créait des incendies, prenait d’autres esclaves, et de cette façon ils semaient la peur dans la population espagnole. Ces actions donnèrent lieu à un traité de paix, des négociations entres les Cimarrones et les autorités coloniales qui leur signe une permission pour s’établir à 20 lieues de Carthagène dans un village qu’ils appellent la Matuna. Une de conditions imposées par les Cimarrones fut d’interdire le transit des blancs dans leur territoire, seul le curé pouvait y accéder. Ils créérent un système informel de tribut : « les voisin blancs » devaient leur donner de cadeaux pour éviter leurs attaques. Les Palenqueros de Matuna pouvaient aussi librement marcher dans la ville et porter des armes. La couronne espagnole leur demande de ne pas inciter d’autres esclaves.
Une nuit de 1619, Benkos va a la ville de Carthagène où il a une altercation avec un gardien, pour cela il est mis en prison et jugé par le gouverneur Garcia de Giron qui après d’un jugement rapide le fait pendre.
Le Palenque de San Basilio est devenu ainsi le symbole d’indépendance des esclaves. Aujourd’hui, c’est dans les Monts de María, côte Caraïbe, que l’on trouve les descendants des cimarrones guerriers, c’est là où subsistent les racines des Noirs de San Basilio de Palenque.
Le Cimarronaje, n’a pas était absent des Provinces de l’intérieur (Zone Pacifique et Andine) puisque, partout où il y avait des esclaves il existait aussi des conditions de vie déplorables : manque d’aliments, des habits, de logements. En plus de ces mauvaises conditions de vie il faut ajouter aussi la peur dans laquelle ils vivaient depuis leur capture, loin de leur terre et de leurs familles. Les mères avaient de plus la crainte d’être séparées de leurs enfants. Tout ne pouvait que donner l’envie de s’enfuir loin de leurs maîtres. Ils ne cherchaient pas seulement une liberté physique mais le droit d’exister et d’améliorer leurs conditions de vie ainsi que le droit à participer à l’économie de marché.
Les Cimarrones devinrent ainsi un grave problème pour la société espagnole parce que non seulement ils privaient les propriétaires de main d’œuvre, mais en formant des communautés fugitives ou des Palenqués ils constituaient une menace pour la stabilité économique des commerçants esclavagiste.
Causes de l’abolition de l’esclavage
A la fin du XVIIIéme siècle, divers facteurs tel que la libération de la main d’oeuvre indigène, la concurrence de la production de miel dans les haciendas de la côte Caraïbe pour faire de l’eau de vie ainsi que d’autres travaux de productions, stimulèrent à la fois la concurrence de la main d’œuvre entre les maitres des haciendas. Le fait d’avoir un esclave impliquait tout un investissement de capital, des coûts d’entretien (repas, habits, habitat…) en plus de suivre les normes dictées par la Couronne Espagnole qui furent codifiées dans le Code de lois de Partida en 1789.
La nouvelle offre de main d’oeuvre n’était pas rentable parce que d’abord il y avait les nouvelles lois des « resguardos indigènes » (abris) et de l’autre côte il commençait à exister de plus en plus de Cimarrones des Palenques, qui étaient de voisins établis à proximité des haciendas, des gens qui étaient « indépendants » et travaillaient pour un salaire « insignifiant» et surtout sans aucune obligation de la part du propriétaire de l’hacienda. Pour cela l’esclavage commence à devenir une affaire anti-économique.
De ce fait, certains propriétaire s’engagent à aider les cimarrones en ayant comme but principal d’avoir une main d’oeuvre bon marché, sans engagements. Les besoin capitalistes de l’Angleterre dans sa recherche de marchés juteux, stimulèrent le soutien de l’abolition de l’esclavage et la libération des colonies espagnoles. Les guerres avaient besoin de soldats et les noirs furent incités, sous les promesses de liberté, à s’unir aux forces armés, d’un côté comme de l’autre. La société esclavagiste devient ainsi un chaos. Cependant les palenqueros n’acceptèrent jamais l’amnistie en échange de sa liberté, ils étaient, de fait, des peuples libres.
En 1851 est signé l’abolition, les noirs sont déclarés libres mais sans terre et beaucoup d’entre eux partirent former la main d’oeuvre bon marché des haciendas.
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