[CULTURE] GUADELOUPE: LE MASSACRE DE MAI 67

Le 20 mars 1967, Srnsky, un Européen, propriétaire d’un grand magasin de chaussures à Basse-Terre (Guadeloupe), voulant interdire à Raphaël Balzinc, un vieux Guadeloupéen infirme, cordonnier ambulant, de passer sur le trottoir qui borde sa devanture, lâche sur lui son berger allemand.

Srnsky excite le chien en s’écriant : « Dis bonjour au nègre ! »

Balzinc, renversé et mordu, est secouru par la foule, tandis que Srnsky, du haut de son balcon, nargue et invective à qui mieux mieux les passants et même les policiers guadeloupéens qui sont accourus.

Il s’ensuit une colère qui aboutit au sac du magasin.

Srnsky, dont la grosse voiture est jetée à la mer, réussit à s’enfuir à temps.

Le préfet la Guadeloupe, Pierre Bollotte, ancien directeur de cabinet du préfet d’Alger (après la fameuse bataille d’Alger qui a donné lieu à la pratique systématique de la torture et des exécutions sommaires) feint de condamner l’acte raciste de Srnsky, mais veut profiter des événements pour démanteler le mouvement autonomiste né de la déception des Guadeloupéens. Malgré la départementalisation de 1946, ils ont conscience, du fait du racisme et des incroyables injustices sociales qui les frappent, de n’être pas assimilés et d’être traités en indigènes.

La seule réponse qui a été donnée à leurs problèmes, c’est l’exil par le Bumidom.

Des scènes d’émeutes ont lieu à Basse-Terre puis à Pointe-à-Pitre. La répression policière est violente : une cinquantaine de blessés.

Le 23 mars, le magasin du frère de Srnsky est dynamité à Pointe à Pitre.

Le 24 mai, les ouvriers du bâtiment se sont mettent en grève, réclamant 2 % d’augmentation et l’alignement des droits sociaux sur ceux de la métropole.

Le 25 mai, des négociations sont organisées à Pointe-à-Pitre. Elle sont de pure forme. Le chef de la délégation patronale, Brizzard, déclare : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront bien le travail. »

Dès lors la situation s’envenime. Les forces de l’ordre ouvrent le feu dans l’après-midi, abattant deux jeunes Guadeloupéens : Jacques Nestor et Ary Pincemaille.

En réaction à ces deux « bavures » selon les uns, exécutions sommaires selon les autres, deux armureries sont pillées et les affrontements se multiplient.

Des lieux symboliques de la France continentale sont incendiés : la Banque de Guadeloupe, Air-France, France-Antilles.

La gendarmerie mobile et les CRS, appuyés par l’armée, ouvrent alors un feu nourri contre la foule qui fait plusieurs dizaines de morts.

Dans la soirée, l’ordre est donné de nettoyer la ville à la mitrailleuse.

Les passants sont mitraillés depuis les jeeps qui sillonnent la ville.

Le lendemain matin, 26 mai 1967, les lycéens de Baimbridge organisent une manifestation spontanée pour dénoncer les tueries de la veille.

Les forces de l’ordre ouvrent de nouveau le feu.

Le 30 mai, le patronat sera contraint d’accorder une augmentation de 25 % des salaires à des ouvriers qui ne demandaient que 2 %.

Des centaines de Guadeloupéens ont été arrêtés. 10 seront immédiatement condamnés à des peines de prison ferme. 70 autres feront l’objet de poursuites.

En outre,19 Guadeloupéens, liés au Gong (groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe, indépendantiste) et accusés d’avoir organisé la sédition, sont déportés en France et déférés devant la cour de Sûreté de l’État. Treize des accusés seront acquittés, les 6 autres condamnés avec sursis.

Le bilan officiel de ces journées est de 8 morts. En 1985, un ministre socialiste de l’Outre-mer, Georges Lemoine, lâche le chiffre de 87 morts.

Christiane Taubira, depuis Garde des Sceaux, a pour sa part évoqué 100 morts. Certains parlent du double.

Le caractère imprécis de ce bilan, dans un département français, en dit long sur la situation qui pouvait y régner à cette époque.

Quant aux responsables de cette tragédie, son cités les noms du commissaire Canalès, du préfet Bollotte, de Pierre Billotte, ministre de l’Outre-Mer, de Christian Fouchet, ministre de l’Intérieur, de Pierre Messmer, ministre des Armées, et surtout de Jacques Foccart, alors secrétaire de l’Élysée aux Affaires africaines et Malgaches.

Foccart était le fils d’une béké guadeloupéenne de Gourbeyre – Elmire de Courtemanche de La Clémandière – et d’un planteur de bananes d’origine alsacienne, Guillaume Koch-Foccart, le maire de cette même ville de Gourbeyre.

Mais personne n’a jamais osé accuser le premier ministre, Georges Pompidou, ni le général De Gaulle, alors Chef de l’État, qui certainement, a dû être informé de ce qui se passait en Guadeloupe et probablement consulté sur les mesures à prendre.

Curieusement, les archives relatives au massacre – ou ce qu’il en reste -ont été classées Secret Défense jusqu’en mai 2017, ce qui pourrait être le signe que des hommes des forces spéciales ont pu être utilisés sous l’uniforme des forces de l’ordre classique, comme cela se fait parfois, quand la République se sent menacée.

Pierre Bollotte, le préfet, a été prudemment rapatrié le 12 juillet 1967 et affecté, le temps que les esprits se calment, à un poste discret.

Après avoir poursuivi sa carrière de préfet territorial en métropole, il a été nommé à la Cour des Comptes en 1982, tout en menant une carrière politique dans le 16e arrondissement de Paris, dont il a été maire-adjoint RPR.

Srnsky, aidé par les autorités, a disparu de la Guadeloupe sans laisser de traces.

Les séquelles de ces événements sanglants, dans la mémoire collective guadeloupéenne, sont d’autant plus vivaces que le massacre de mai 1967 a toujours été minimisé, sinon occulté dans l’histoire de la Cinquième République, à la différence d’autres massacres comparables en termes de victimes, comme celui du 17 octobre 1961, qui, eux, ont été reconnus officiellement.

© Une Autre Histoire

Source:

http://www.une-autre-histoire.org/guadeloupe-le-massacre-de-mai-67/

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