Lamine DIALLO raconte :
Je me fais souvent tag-interpellé par des contacts sur des thématiques ayant trait aux (pas très) récents débats sur l’avenir du Franc CFA et son bilan jugé catastrophique pour bon nombre d’économies africaines. Il y a comme un sentiment ambiant que les fameuses crypto-monnaies ou du moins leur technologie sous-jacente, la blockchain pourrait être la solution de tous les maux dont souffrent les zones Franc CFA en Afrique.
Qu’en est-il : La blockchain solution miracle pour sortir de la servitude du franc des colonies françaises d’Afrique (F.C.F.A) ou mirage entretenu par des activistes en manque d’inspiration et néophytes dans la nébuleuse crypto ?
La blockchain, cette technologie révolutionnaire qui pour la première fois permet d’échanger en masse des actifs financiers (mais pas que) de façon transparente, sécurisée (…) à travers une infrastructure complètement distribuée, sans l’intervention d’aucun tiers de confiance (ie le principal rôle des banques), suscite énormément d’intérêt de nos jours. Une des crypto monnaie qui constitue l’une de ses applications principales lancée en 2009 comme une expérimentation d’un génie de l’informatique aux rêves libertariens et donc suspicieux à l’égard de toute autorité centrale, le bitcoin tutoie aujourd’hui la barre des 5 000 dollars l’unité, avec une capitalisation boursière de près de 80 Milliards de dollars et surtout une communauté massive de supporteurs, mineurs et investisseurs à travers le monde.
Le succès fulgurant de cette première application a donné naissance à un écosystème foisonnant de cryptomonnaies « alternatives » et d’applications aux usages divers et variés, utiles ou complètement loufoques. L’engouement est à un tel niveau, qu’une grande chaîne de restauration rapide propose de gérer les points de fidélité accumulés à l’achat de vos sandwichs préférés à travers un système basé sur la blockchain : le WhopperCoin !
Du coin de votre rue, en passant par les marchés de l’énergie entre particuliers sans oublier la gestion des droits d’auteurs de votre bibliothèque musicale, la blockchain se retrouve également au cœur des enjeux sur la politique monétaire des différentes banques centrales mondiales avec notamment une initiative citoyenne nommée FedCoin qui vise à faire fonctionner la planche à billets de la réserve fédérale américaine à travers un système basée sur la blockchain.
L’attrait de la blockchain dans la création et la gestion monétaire se trouve sur la mise en œuvre de ses principales fonctionnalités : transparence, traçabilité et décentralisation; propriétés qui, dans l’imaginaire collectif citoyen pourraient permettre de lutter contre l’opacité des mécanismes de fonctionnement des différentes banques centrales et surtout d’ôter autant de pouvoir à un petit groupe d’hommes politiques et banquiers qui n’ont pas forcément le meilleur intérêt du peuple en ligne de mire.
Cet attrait se retrouve décuplé quand on aborde les problématiques du franc CFA : il faut dans un premier temps lutter contre l’opacité inhérente à la gestion centralisée d’autant plus que la puissante gérante est étrangère et de surcroit avec un passé d’agresseur, d’oppresseur et de colonisateur mais également de mettre les dirigeants africains suppôts supposés de cette puissance face à leurs responsabilités dans la gestion des économies locales. Pour beaucoup, l’indépendance des pays africains dans la création de leur monnaie et par extension dans la définition de leurs politiques monétaires permet d’affirmer la souveraineté de ces pays et la blockchain aiderait à faire d’une pierre, deux coups : se libérer de l’ancien pouvoir colonial et s’affranchir également de la mauvaise gouvernance et la corruption des pouvoirs locaux !
Dans la pratique comment aborder la création d’une monnaie nationale à travers la blockchain ?
Il existe plusieurs approches, chacune avec ses avantages et inconvénients, deux principaux scenarii se dégagent, créer cette monnaie :
A : Sur une blockchain publique comme celle utilisée par bitcoin ou Ethereum
B : Sur une blockchain privée, gérée par une autorité (banque) centrale
Et un troisième scénario qui consiste à imaginer une cryptomonnaie non supportée par un gouvernement mais massivement utilisée par la population au point de devenir le moyen d’échange par défaut.
La première approche consiste à créer la monnaie en reprenant la blockchain utilisée par bitcoin ou Ethereum. L’intérêt réside dans le fait que ces plateformes existent depuis plusieurs années, sont massivement utilisées à travers le monde et ont atteint un niveau de maturité suffisant en terme de sécurité et de stabilité (la majeure partie du temps).
Elles seraient cependant peu pratiques, voire complètement inadaptées pour supporter une monnaie nationale si elles sont reprises à l’identique de celles déployées actuellement au niveau mondial sur internet :
· L’émission de la monnaie serait totalement gérée par un algorithme dont le fonctionnement est complètement décorellée des besoins de l’économie réelle.
· Le volume total de la monnaie pouvant être émise serait plafonné, ce qui créerait une énorme déflation et une monnaie encore une fois qui ne reflète pas l’état de l’économie et la production nationale.
· La volatilité du cours d’une telle monnaie serait bien trop grande pour qu’elle puisse être une réserve de valeur.
· Les pouvoirs publics seraient démunis pour définir et affiner la politique monétaire.
L’idée serait plutôt, vu que la conception de la blockchain le permet, de la dupliquer et modifier son code afin d’éliminer les contraintes évoqués ci-dessus, on aurait ainsi une plateforme hybride qui allie la sécurité, la traçabilité et la maturité de la blockchain bitcoin (ou ethereum) avec une extension répondant aux besoins d’une monnaie nationale, voire régionale. Une telle entreprise ramène cependant son lot de défis :
· La mise en œuvre d’une infrastructure informatique composée de milliers d’ordinateurs et de serveurs qui fournissent la puissance de calcul qui permet de valider les transactions.
· Dans cette hypothèse de blockchain publique, ces ordinateurs ne seront pas contrôlés par l’état, mais plutôt par les citoyens et il se pose alors la question de l’incitation (financière, fiscale ou autre) qui convaincrait les citoyens de fournir leur propre puissance de calcul pour le fonctionnement des services de l’état.
· La couverture internet et le débit dans les pays concernés est-il suffisant pour supporter une telle infrastructure ?
· Comment est fixé le taux d’échange de la monnaie ?
· Il se pose également une question cruciale qui est celle de la mise en place de la méthode d’émission de la monnaie, les contraintes de transparence, traçabilité et sécurité exigent que la décision ne soit pas centralisée. Les besoins d’une monnaie stable, non volatile et qui reflète l’économie réelle empêchent de confier sa génération à un algorithme purement informatique.
Pour trouver une solution à ces différents points, plusieurs idées et pistes de réflexions existent :
· Mettre en place un taux d’échange fixe entre la nouvelle monnaie et un panier d’autres monnaies et de biens, l’idée est de ne pas l’exposer aux fluctuations d’une monnaie unique dont elle deviendrait trop dépendante. Ce panier peut être composé d’euros, dollars, yen et des cours de l’or et/ou du pétrole…
· Trouver des mécanismes pour assurer la stabilité de la monnaie, il existe déjà plusieurs projets et propositions dans ce sens, on pourrait citer les projets bitshares, Maker (Dai) et Seignorages shares. Ces projets assurent cette stabilité avec des mécanismes différents, mais on peut résumer leurs principes ci-dessous :
o Indexer la nouvelle crypto-monnaie à une monnaie existante
o Ajuster les fluctuations de l’offre et la demande en émettant automatiquement de la monnaie ou en détruisant. Il existe des propositions de monnaie basée sur deux sous-monnaies, une volatile et une autre stable qui fonctionneraient en tandem à travers un algorithme de régulation et dont le but serait de stabiliser la monnaie qu’elles indexent.
· Faire voter les modifications éventuelles de l’émission de la monnaie ou de tous les autres aspects de son fonctionnement par une organisation autonome décentralisée constitué de milliers de citoyens qui voteront (électronique) pour entériner et faire appliquer les propositions d’évolutions de la monnaie.
Comme nous avons pu le constater, allier les forces et les fonctionnalités des principales blockchain publiques largement déployées et testées avec les exigences d’une monnaie nationale se révèle être un exercice complexe avec d’innombrables considérations techniques, économiques, politiques et sociétales. L’essor fulgurant de la blockchain et ses différentes applications ces dernières années et son impact potentiel sur tous les aspects de notre quotidien place cette technologie au cœur des projets sociaux économiques d’un grand nombre de pays et d’organisations. Elle fournit des outils avec une plus-value certaine et sera incontournable dans le futur.
Dans un prochain article nous examinerons les deux autres scénarii de création et d’émission d’une monnaie nationale sur une blockchain privée gérée par une banque centrale et l’utilisation massive d’une tierce cryptomonnaie qui, terme se substituera à la monnaie officielle.
Lamine DIALLO
Senior unified communication consultant – Fondateur EtherAfrica
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