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Aux États-Unis, le pardon de la famille de Botham Jean à la policière blanche qui l’a tué fait polémique

Le mercredi 2 octobre dernier, l’ex-policière de Dallas, Amber Guyger, 31 ans, n’a été condamnée qu’à 10 ans de prison pour le meurtre de Botham Jean, un jeune noir de 26 ans tué un an plutôt, à l’issue d’un procès qui a poussé le pays à examiner les complexités des relations raciales et de l’inconduite de la police. Habituellement, dans les affaires très médiatisées comme celle-ci, les gens se demandent si la sentence est appropriée au crime. Mais 24 heures après le verdict, le public s’est moins préoccupé de la peine infligée à Guyger que de la manière délicate dont elle a été traitée par le juge, les greffiers, et même par la famille de la victime, tous de race noire.

Un pardon opportun ?

Le 1er octobre, avant que quiconque ne puisse réellement se réjouir du mot « coupable », une vidéo troublante a commencé à faire le tour d’une surveillante noire caressant les cheveux d’Amber Guyger après le verdict. Les téléspectateurs ont dit qu’il était choquant de voir Guyger être traitée avec tant d’admiration par une personne de couleur immédiatement après qu’elle ait été reconnue coupable du meurtre d’un homme noir sans arme.

Le même jour, le frère cadet de Botham Jean, Brandt Jean, a pris position pour sa déclaration de victime et a déclaré en larmes à l’assassin de son frère : « Je ne veux pas dire deux fois ni pour la centième fois ce que vous nous avez volé. Je pense que vous le savez, mais (…) je vous pardonne », avant d’aller vers l’assassin de son frère pour la serrer tendrement dans ses bras… conformément au pardon chrétien.

Les déclarations de pardon que le père de Jean à formulées au cours d’un service à l’église ont été qualifiées de justice poétique, compte tenu du fait que les propriétaires d’esclaves enseignaient systématiquement aux chrétiens noirs de « tendre l’autre joue » en ce qui concerne l’inconduite blanche ou même la suprématie flagrante.

Comme le rappelle le site afro-américain, The Grio, « nos ancêtres avaient reçu la Bible dans leurs mains ensanglantées [de leurs maîtres blancs qui leur ont dit] que Jésus voudrait qu’ils passent moins de temps à rechercher la liberté, la joie ou même les droits civils dans cette vie. Au lieu de cela, ils s’attachent plutôt à gagner la gloire de l’au-delà. Pendant des générations, ils ont été nourris à la cuillère avec l’idée qu’ils devaient se résoudre à défendre des idéaux tels que l’humilité, la complicité et des tonnes de pardon trop zélés ».

Une autre victoire pour la fragilité blanche ?

La nécessité innée de protéger les Blancs racistes des appels à comparaître et de les traiter comme tels est profondément ancrée dans le tissu de ce pays. Si un garçon noir est abattu alors qu’il ne détient rien de plus que du thé glacé et un sac de Skittles, la première question que nous entendons dans les médias est la suivante : « Qu’est-ce qu’il a fait ? Quel genre de jeune homme était-il ? » – Une question qui implique que l’accès pour les noirs l’humanité est directement proportionnelle à leur capacité à prétendre à la perfection.

Mais si un sympathisant nazi dans une terrible coupe de cheveux tire sur des paroissiens innocents dans une église, il – dans toute sa médiocrité blanche violente – est toujours arrêté et conduit pour déjeuner avant de se diriger vers le poste de police. Ce qui s’est passé dans la salle d’audience avec Guyger le 1er octobre dernier n’est pas différent de la façon dont nous avons vu d’autres agresseurs blancs pardonnés se faire traiter.

La disparité entre la manière dont tout le monde – les Noirs compris – considère l’accusé comme suit l’appartenance raciale envoie un message clair: les Noirs devront toujours vivre à un niveau supérieur, tandis que les « sentiments blancs » fragiles (même ceux des meurtriers) doivent être protégés à tout prix. C’est ce qui a sans doute inspiré cette question à l’humoriste Rickey Smiley : « Est-ce que quelqu’un peut me montrer une photo où un détenu noir qui a été condamné pour un crime même non violent a eu ce genre de traitement ? »

Le débat fait toujours rage

Le choix de la famille Jean de pivoter vers le pardon a sans aucun doute suscité de vifs débats ces derniers jours, parmi les personnes de race noire, aux États-Unis comme ailleurs. Si certains l’ont salué comme un acte de bonté et de magnanimité, d’autres, à l’instar de l’écrivain et professeur afro-américain de sciences politiques et de communication, se sont interrogés au contraire de la nécessité d’une telle action.

« Si les victimes de #JeffreyEpstein se manifestaient une à une et disaient qu’elles lui pardonnaient pour trafic et abus sexuel, tout le secteur des médias se dresserait dans la confusion et la juste colère en leur nom. Pourtant, il n’y a que des éloges pour avoir assassiné un tueur raciste ».

Mais l’écrivain Damon Young tient à souligner que, sur sa page Facebook, « les familles et les amis des personnes récemment assassinées vont se plaindre et traiter comme ils se doivent. Et parfois cela implique un pardon accéléré. Parfois non. Qu’il soit performatif ou non, ce n’est pas notre appel à faire. Les gens font ce qu’ils doivent faire pour surmonter un traumatisme, et le fait que cela ne ressemble pas à la façon dont vous pensez que vous réagissez ne signifie pas qu’ils ont tort. Ce sont juste des gens qui essaient de donner un sens à l’absence de sens. Faire ce qu’ils estiment devoir faire pour surmonter cette douleur ».

Des arguments qui inspirent à la journaliste Blue Tesulma la repartie suivtante : « Quand j’enlève mon flash initial de colère, je dois admettre qu’il a raison. Il n’y a pas qu’un seul moyen (ou même le bon moyen) de faire son deuil. Et même si certains d’entre nous pensent que l’optique de ce que la famille Jean fait est liée à la dynamique non résolue de notre communauté à laquelle il faut remédier, il est injuste de mettre le poids de tout ce « truc » sur les épaules d’une famille qui est clairement toujours très mal ».

Stéphane BAI

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