Hassan Hussein coupe quarante arbres par mois pour les transformer en charbon, parfaitement conscient des dommages qu’il cause à son environnement; mais c’est la dernière ressource qui reste à cet éleveur privé de bétail.
En Somalie, des centaines de milliers de nomades, la majorité de la population, font de même chaque jour, au risque de transformer bientôt en désert des pans entiers de ce pays déjà aride et pauvre de la Corne de l’Afrique. »J’étais un éleveur, j’ai perdu mon troupeau à cause des sécheresses et des maladies, et je suis l’aîné de la famille », avec dix bouches à nourrir, ses deux enfants, ses sept frères et soeurs et sa mère, explique le jeune homme de 27 ans.Il y a quatre ans, Hassan Hussein avait 25 chameaux et 300 chèvres; il lui en reste respectivement 3 et 15.
Alors, une hache artisanale à l’épaule, il part chaque matin couper du bois, le brûler pendant deux jours, le faire sécher pendant deux autres jours, avant de le revendre pour l’équivalent de six dollars le sac de vingt kilos.
Son village de Jalelo, au nord de la Somalie, était autrefois au coeur de la savane.
L’explorateur britannique H.G.C. Swayne raconte dans ses mémoires, fin XIXème siècle, comment il y a traqué et chassé « un grand troupeau d’éléphants ». « La forêt à Jalelo est essentiellement composée de l’arbre Guud (acacia NDLR), au bord de la rivière Hembeweina », rapportait alors le chasseur.
Mais le dernier éléphant a été tué au nord de la Somalie en 1958, et Swayne pourrait aujourd’hui repérer de très loin le moindre gibier de taille, dans ce paysage rocailleux parsemé d’arbustes bas et de restes d’arbres calcinés.
« 20% des forêts ont disparu en dix ans. Ce pays se transforme de toute évidence en désert », constate Ahmed Derie Elmi, directeur des forêts au ministère de l’Environnement du Somaliland, l’entité du nord de la Somalie qui a proclamé son indépendance depuis 1991 et compte 3,8 millions d’habitants.
« Si la déforestation continue à ce rythme, ce pays sera un désert dans vingt ou trente ans », renchérit Ahmed Ibrahim Awale, directeur de l’organisation non gouvernementale Candlelight, qui fait autorité au Somaliland en matière d’environnement et de santé.
La faute aux maladies animales, qui ont poussé les pays du Golfe à interdire pendant neuf ans, jusqu’en 2009, tout bétail venant de Somalie, contraignant les éleveurs à trouver d’autres sources de revenus.
La faute plus généralement à la surexploitation des terres, à l’urbanisation et à l’explosion démographique: Hargeisa, la capitale du Somaliland, abrite environ 850.000 personnes, six fois plus que dans les années 70, et consomme quotidiennement 250 tonnes de charbon de bois selon M. Elmi. Le charbon de bois est la seule façon de faire la cuisine, l’électricité étant rare et hors de prix.
Les autorités impuissantes
Le désastre est le même d’un bout à l’autre de la Somalie. Dans le sud du pays, les islamistes insurgés shebab avaient fait de l’exportation du charbon de bois leur principale source de revenus (25 millions de dollars l’an dernier selon l’ONU) avant de perdre en septembre dernier Kismayo, leur principal port d’exportation.
Une des premières mesures du président nouvellement élu de Somalie, Hassan Cheikh Mohamoud, a été de confirmer l’interdiction de toute exportation de charbon de bois, décrétée par l’ONU en février dernier. Mais des témoins ont rapporté à l’AFP que des bateaux chargés de charbon continuaient de quitter Kismayo et les environs.
Pour arrêter la déforestation, il faudrait s’attaquer « à ses causes profondes: la pauvreté et le déclin dans la taille des élevages », relève M. Awale.
Il faudrait offrir à la population des sources alternatives d’énergie, engager un effort massif de reforestation, reconvertir une partie des nomades à l’agriculture. Mais l’environnement a été loin, à ce jour, d’être une priorité pour les autorités somaliennes. Au Somaliland, « le ministère de l’Environnement a le plus petit budget du gouvernement, qui couvre tout juste les salaires » de ses 187 employés, relève M. Elmi.
Dans les campagnes, « tous les arbres âgés ont disparu », ceux qui donnaient le plus de bois, déplore M. Awale. « Autrefois on pouvait obtenir six ou sept sacs de charbon de 25 kgs à partir d’un arbre. Aujourd’hui, peut-être un ou deux ».
En conséquence, le prix du charbon de bois a doublé en quatre ans au Somaliland pour atteindre 60.000 shillings (10 dollars) le sac.
Couper du bois « me laisse un goût de cendre », lâche Hassan Hussein. « L’avenir est très sombre, car bientôt tous les arbres auront disparu ».
Source : tempsreel.nouvelobs.com
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