Cela fait aujourd’hui un mois, jour pour jour, que trois militants de la société civile sont détenus sans que les charges qui pèsent contre eux leur aient été notifiées. Arrêtés à l’issue d’une conférence de presse le 15 mars, avec des activistes burkinabè et sénégalais, ils sont accusés par le gouvernement de fomenter une insurrection armée.
Le 15 mars dernier, des militants de plusieurs organisations de la société civile congolaise constitutives du mouvement Filimbi (Coup de sifflets en swahili) et des membres du mouvement sénégalais Y en a marre et du mouvement burkinabè du Balai citoyen ont étéarrêtés à l’issue d’une conférence de presse. Les militants sénégalais et burkinabè ont par la suite été libérés au bout de quelques jours avant d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Mais les Congolais, eux, sont toujours détenus, sans avoir pu rencontrer d’avocat jusqu’à maintenant.
Aucun chef d’inculpation
Ce qui est avéré, c’est que Fred Bauma – président de la Lucha, un mouvement de jeunes basé à Goma -, Sylvain Saluseke – membre du mouvement Engagement Citoyen de la Jeunesse – et Yves Makwambala, graphiste, sont tous les trois détenus par les services de l’Agence nationale des renseignements (ANR). Par contre, la raison de leur détention reste encore une interrogation.
Aubin Minaku, président de l’Assemblée nationale, interrogé par RFI le 25 mars dernier, avait évoqué des indices sérieux de culpabilité, en citant des sources judiciaires. Un mois plus tard la détention a été prolongée « pour besoins de l’enquête sécuritaire », selon une source sécuritaire. Mais aucun chef d’inculpation n’a encore été mentionné.
Les trois militants de la société civile peuvent être inculpés comme ils peuvent être libérés, affirmait en début de semaine une source sécuritaire. Mais tout dépend de l’issue d’une enquête dont personne ne semble en mesure de dire combien de temps elle va encore durer.
Les avocats interdits de visite
A ce jour, les seules personnes à avoir pu rencontrer les trois militants sont quinze députés de la majorité et de l’opposition, chargés de récolter des informations sur la procédure en cours. Si ces députés ont pu confirmer que les jeunes n’ont pas été maltraités, ils n’ont par contre trouvé aucun élément dans leurs dossiers faisant état de préparation d’actes terroristes ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Hormis ces députés, personne n’a pu les voir depuis leur incarcération, ni un avocat, ni aucun membre des familles. Un droit de visite est pourtant prévu par la Constitution congolaise. La mission d’information parlementaire sur ce dossier, constituée le 27 mars dernier, doit rendre ses conclusions au président de l’Assemblée nationale congolaise dans les prochains jours.
Militant des droits de l’homme et avocat, Me Sylvain Lumu avait porté plainte suite à ces interpellations. Il dit sa « déception totale » devant la situation : « Le parquet général de la République est incapable d’examiner la plainte que nous avions déposée contre toute personne qui avait procédé à ces arrestations illégales et à la détention arbitraire, dont il se révélera plus tard qu’il s’agit des services de l’ANR, en violation des lois et procédures prévues à cet effet. »
L’avocat confirme n’avoir à l’heure actuelle « pas accès à (ses) clients ». « La justice congolaise est inefficace. Les voies de recours interne sont épuisées et j’entends me pourvoir devant les organismes internationaux, met-il en garde. Ce matin même (mardi 14 avril, NDLR), j’étais au bureau de l’ANR et il n’y a toujours aucun responsable capable de donner une réponse à ce sujet. On demeure dans la violation des droits garantis aux particuliers et l’obstination totale de faire du mal, sans égard à quelque loi possible. »
Autre problème, selon l’avocat, la décision de l’employeur d’Yves Makwambala l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) de résilier son contrat. « C’est totalement injuste, alors qu’ils savent pourquoi il ne peut pas se rendre à son travail en ce moment », s’insurge Me Sylvain Lumu.
Quatre autres militants arrêtés à Goma
Les organisations de protection des droits de l’homme, parmi lesquelles Human rights Watch, dénoncent « un déni de justice » et appellent les autorités à libérer immédiatement les trois hommes.
Cette demande de libération s’étend également aux quatre militants du mouvement Lutte pour le changement (Lucha), arrêtés à Goma, et détenus depuis une semaine après avoir participé à une manifestation pour demander la libération des militants détenus à Kinshasa. Les quatre militants de Lucha sont inculpés de trouble à l’ordre public, d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de distribution de tract et de participation à une manifestation illégale. Lundi 13 avril, une nouvelle manifestation de la Lucha a été organisée devant le tribunal de grande instance de Goma.
Justin Kikandi, l’un des membres de la Lucha, ne décolère pas. « Finalement, il ne faut plus parler, c’est ce que veulent les services de sécurité de ce pays, on se demande pourquoi », s’emporte-t-il au micro de RFI. « L’époque de l’unicité de l’opinion, de l’unicité de la pensée est révolue ! Notre pays s’appelle la République démocratique du Congo, et non pas la République autocratique du Congo. (…) Mais nous ne pouvons pas baisser les bras. Nous allons continuer à mobiliser, parce que nous croyons aux valeurs que nous souhaitons défendre. Les valeurs de la démocratie, de la justice, du changement. »
Par ailleurs, toujours dans la galaxie Filimbi, deux employés de la banque sud-africaine Rawbank ont été arrêtés, l’un samedi et l’autre lundi, selon des sources concordantes. Ces deux employés géraient l’un des comptes en banque du collectif Filimbi.
Source : http://www.rfi.fr/afrique/20150415-rdc-militants-filimbi-toujours-prison-y-marre-balai-citoyen-kabila-hrw/
Commentaires
commentaires