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[ACTUALITE] A PARIS, LES COIFFEUSES DU « 57 » REMPORTENT UNE VICTOIRE SYMBOLIQUE

Depuis trois mois, 18 travailleurs précaires occupent leur salon de coiffure-manucure, situé dans le quartier de Château d’Eau, à Paris, pour demander leur régularisation. Ils ont appris le 6 novembre qu’ils n’étaient pas expulsés.

« À louer ». L’ex-New York Fashion, salon de coiffure afro et manucure du 57 boulevard de Strasbourg, à Paris, cherche repreneur. La vitrine a disparu sous un film de plastique qui affiche en rouge la ligne directe du propriétaire. Pourtant, derrière le rideau de fer à moitié baissé, une petite tête apparaît. Une fillette, haute  comme trois pommes, vient plaquer son nez à la porte vitrée, mouchetée de tracts de la CGT.

Les anciens salariés de la boutique squattent le « 57 » depuis le 27 juillet pour obtenir leur régularisation. Et ils ne sont pas près de partir. Le Tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé par le propriétaire des lieux, n’a pas donné suite à sa demande d’expulsion, ont annoncé les avocates des travailleurs, le 6 novembre. « C’est une victoire symbolique importante. Il est essentiel que l’occupation continue pour que notre combat soit entendu. Maintenant, il faut que l’État choisisse son camp, entre celui des victimes et celui de la mafia qui les exploite », a déclaré Maryline Poulain, chargée des questions d’immigration à la CGT Paris.

Du salon de beauté, ne restent que quelques vestiges abîmés : des fauteuils de coiffeur émoussés, un bac à pieds devenu cendrier, des têtes de polystyrène plantées d’aiguilles à tisser le cuir et des flacons de colorants vides qui dégagent encore leurs odeurs toxiques. Au milieu, courent les rats. Cela fait plus de trois mois que les locaux sont en jachère.

De la victoire à la défaite

Le 7 juin, les 18 travailleurs précaires du New York Fashion, soutenus par la CGT, obtenaient des contrats de travail après trois semaines de grève. Une situation quasi-inédite dans le quartier de Château d’Eau, dans le nord de Paris, temple de la coiffure africaine où travaillent près de 1 500 personnes non déclarées, en majorité sans papiers.

Les réjouissances ont été de courte durée : une semaine après, les gérants du « 57 » mettaient la clé sous la porte. Quand la liquidation judiciaire a été prononcée en juillet, les salariés ont décidé d’occuper les locaux et de mener une action au pénal pour « faillite frauduleuse », « abus de vulnérabilité », « travail dissimulé » et « traite d’êtres humains ».

« On travaillait de 9 heures à 23 heures, six jours sur sept et parfois le dimanche en période de fête », se souvient Fatou. Cette Ivoirienne de 42 ans, en France depuis juin 2013, a rejoint le salon en décembre dernier. On lui promet alors qu’elle sera payée à la tâche, 40 % pour elle, 60 % pour le patron. Rapidement les paies – 200 à 400 euros par mois – s’espacent. « Il fallait toujours négocier pour toucher notre salaire. Jusqu’au jour où on n’a plus été payé du tout. »

Le parquet de Paris s’est saisi de l’affaire, demandant à la Direction des renseignements de la préfecture de police (DRPP) d’ouvrir une enquête. Pour la CGT, ce n’est pas suffisant. Les grévistes ne se sentent plus en sécurité dans ce quartier « où les intimidations sont permanentes », selon le syndicat qui demande une protection policière. « La plainte met en cause un système d’économie souterraine tenue par une mafia », explique Marilyne Poulain, en charge des questions d’immigration à la CGT.

Du « poison enrobé dans du miel »

« Le quartier est aux mains de réseaux nigérians qui contrôlent l’ensemble des salons. La police manque de preuves et d’éléments. C’est très précieux que d’anciens salariés acceptent de collaborer, mais il faut les protéger », poursuit Marilyne Poulain. Elle-même a été menacée de décapitation et a déposé plainte en correctionnelle.

Malgré les intimidations, les salariés et leurs soutiens n’ont pas abandonné la mobilisation. Ils se relaient nuit et jour dans le salon jonché de vieux matelas, aussi terrain de jeu pour les bambins. Maïlys, « bébé de la grève » né un mois plus tôt, passe de bras en bras. Madima, sa jeune mère de 25 ans qui a fui la Côte d’Ivoire dans l’espoir d’un avenir meilleur en France, couve sa petite d’un regard d’onyx. L’ambiance est détendue dans le QG, havre de paix en milieu hostile. « On est devenu comme une famille », estime Alphonse.

Ce Burkinabè de 28 ans, qui s’est vu refuser sa demande d’asile en France, s’occupait de la caisse quand le salon était encore en activité. « Ici, c’est du poison enrobé dans du miel, lâche-t-il. On cherche ta confiance puis on te trahit. Le patron faisait de faux calculs pour ne pas nous payer. Et depuis qu’on fait la grève, il y des regards de vipères. Dehors, c’est pire que la jungle. La panthère noire n’attend pas pour attaquer… »

Daniel, un Nigérian de 34 ans lui aussi mobilisé au « 57 », est inquiet. Il a reçu des menaces sur son téléphone portable : « On va tuer ta femme et ton fils si tu ne payes pas ta dette », lit-il. Derrière le message anonyme, il soupçonne les passeurs qui l’ont aidé à rejoindre l’Europe, il y a un peu plus d’un an.

Recruté en pleine rue

Menacés dans sa ville natale d’Oko, dans le sud-est du Nigeria, car chrétiens, Daniel et sa femme ont rejoint la Libye, en passant par le Niger. De là, ils ont embarqué sur un bateau de fortune pour finalement être récupérés, in extremis, par la police italienne alors que plusieurs passagers s’étaient déjà noyés. Après quelques jours à Lampedusa, ils ont fui pour la Sicile où ils sont entrés en contact avec un réseau nigérian qui les fait passer en Suisse. On leur demande 50 000 euros par tête ou de rendre quelques « services » : narcotrafic et prostitution. Le couple saute dans le premier train en partance de Zurich. Sans le savoir, ils arrivent à Paris.

« On a vécu dans la rue et un jour ma femme, qui était enceinte, s’est évanouie. Elle a été emmenée à l’hôpital où une assistante sociale nous a pris en charge », raconte Daniel. C’est par hasard que le jeune homme arrive un jour dans le quartier de Château d’Eau : « Après avoir accouché de notre fils, ma femme avait besoin d’une crème. On m’a dit que je pouvais la trouver à Château d’Eau ». À la sortie du métro, un homme lui propose de travailler comme barbier dans un salon de beauté. Dès le lendemain, il se retrouve au « 57 ».

La tour de Babel du « 57 »

Daniel est affecté au sous-sol du salon, avec les anglophones. Les francophones sont au rez-de-chaussée, pour attirer le client, ceux qui parlent le mandarin au premier, à l’étage manucure. « La stratégie des gérants, c’est de ne jamais recruter plus de sept personnes qui parlent la même langue pour éviter les regroupements », explique Marilyne Poulain. Dans la petite salle sans fenêtre, ni aération, Daniel prépare les colorants plus de 15 heures par jour. Les produits toxiques ne tardent pas à faire leur effet : « Je souffre de violents maux de tête et depuis, je n’arrive plus à dormir », témoigne Daniel. Trois mois après, dans cette pièce, les effluves chimiques sont encore entêtants.

Precious, elle, ne les sent même plus. Avant de coudre des rajouts sur des têtes parisiennes dans une cave suffocante, cette Nigériane de 29 ans a traversé l’enfer. Répudiée par son mari alors qu’elle a à peine 18 ans et déjà trois enfants, elle fait confiance à une « Madame » qui lui promet l’Europe et la richesse. Un graal dont elle ne se méfie pas : « Je n’avais rien à perdre, ma vie était misérable au pays ».

Elle se retrouve rapidement sur un trottoir de Palerme, en Sicile, pour payer sa dette de 65 000 euros aux passeurs. Enceinte d’un nouveau compagnon de route, elle finit par s’enfuir pour la France. « J’ai vécu dans la rue avec mes trois enfants, il fallait absolument que je travaille pour les nourrir », raconte-t-elle. Elle entend dire qu’elle pourra travailler à Château d’Eau, même sans papiers.

Recommencer à travailler, dans la légalité

Precious, Daniel, Alphonse, Fatou, Madima et les treize autres ont chacun traversé bien des épreuves avant de mener le piquet de grève à Paris et de squatter contre, vents et marées, un local insalubre du 10e arrondissement. Aujourd’hui, ils sont prêts à mener la lutte jusqu’au bout pour obtenir leur régularisation et n’aspirent qu’à une chose : se remettre à travailler, dans de bonnes conditions et dans la légalité.

« Je veux rester, je ne veux plus me prostituer, je veux travailler et pouvoir payer la cantine de mes enfants. Nous sommes de bons coiffeurs et on se bat pour nos droits ! », assène Precious, dans un éclat de rire communicatif. Plus posée, Fatou acquiesce : « En nous privant de papiers et de permis de travail, c’est comme si nous étions punis d’avoir dénoncé un système qui n’honore pas la France ».

Source: http://www.france24.com/fr/20141106-chateau-eau-paris-greve-salon-coiffure-expulsion-sans-papiers-france/

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