• Accueil
  • >
  • SPORT
  • >
  • [SPORT] LE DERNIER COMBAT DE LUCIE DÉCOSSE

[SPORT] LE DERNIER COMBAT DE LUCIE DÉCOSSE

Le 10 février, Lucie Décosse a pleuré. Un peu. Et les journalistes se sont tus, gênés. Voir ses grands yeux noirs, son sourire habituel des grands jours se diluer dans une immense tristesse rendait le moment grave. C’était comme si les Marseillaises, tant de fois entonnées pour elle, avaient laissé place au glas intérieur. Cette petite mort inévitable dans la vie d’un athlète quand approche la fin.

Ce jour-là, la championne olympique – consacrée à Londres six mois plus tôt -, était venue chercher une huitième victoire au prestigieux Tournoi de Paris, dans son jardin à Bercy. Mais ce que d’aucuns annonçaient déjà comme un jubilé a tourné au flop quand, en difficulté face à la Néerlandaise Kim Polling, la Française tenta un o uchi gari (un fauchage sur l’arrière) kamikaze. Une fraction de seconde plus tard, la judoka, suspendue dans les airs, s’écrasait lourdement sur le dos. Un ippon brutal qui laissait le public sans voix, K.O., à l’image de sa déesse qui venait de dégringoler de son piédestal. Même le champion olympique des lourds (+ 100 kg), Teddy Riner, dans la salle d’échauffement, en resta bouche bée.

« Des ippons comme celui-ci, j’en ai pris très peu au cours de ma carrière, a réagi sur le coup Lucie Décosse, regard perdu sur sa médaille de bronze. Si c’est pour faire la même chose aux Mondiaux, mieux vaut que je n’y participe pas. » Et puis, elle a réfléchi, Lucie Décosse. Et ses envies de raccrocher se sont estompées. Parce que boucler une telle carrière sur un échec lui était impensable et qu’à 32 ans la Guyanaise n’a plus rien à prouver, sinon qu’elle est encore là. Alors elle défendra son titre de championne du monde une dernière fois, vendredi 30 août, à Rio de Janeiro. « Bien sûr, ramener une médaille d’or du Brésil, ça serait la cerise sur le gâteau, poursuit la métisse. Mais si je fais une autre médaille ou que je perds, ça ne sera pas un drame. Après, j’arrête. J’ai fait une belle carrière. Petite, je n’aurais jamais imaginé tout ça. »

LE PLUS BEAU PALMARÈS DU JUDO FÉMININ

Lucie Décosse a commencé le judo à Ecouen, dans le Val-d’Oise. Mais c’est en Guyane, sur les terres maternelles, qu’elle trouve son premier mentor en la personne de Guy Pina, à Kourou. Dès ses 16 ans, elle intègre le pôle France d’Orléans. Mais le déracinement, la dureté des entraînements et le climat mettent en péril ses ambitions. « On retente l’expérience un ou deux mois, guère plus, assène à l’époque le responsable du pôle, Thierry Marchand. Après, c’est retour au pays. » De retour, il n’y en aura finalement pas. Dans ce laps de temps, la Guyanaise remporte effrontément les championnats de France juniors et tape dans l’oeil des hautes instances du judo français qui l’expédient à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Ils sont persuadés de tenir entre leurs mains une perle. En 2000, elle confirme les espoirs placés en elle en remportant les championnats du monde juniors à Nabeul, en Tunisie.

Treize ans plus tard, le palmarès de la Française s’est considérablement étoffé jusqu’à devenir le plus beau du judo féminin français. Au cours de ses deux « carrières » (la première en – 63 kg jusqu’à 2008, puis en – 70 kg), Lucie Décosse a remporté pas moins de quatre titres européens, sept victoires au Tournoi de Paris, trois championnats du monde et l’or olympique.

Si le grand public salue son record de victoires et de longévité, dans le landerneau du judo la Française est davantage considérée pour son judo hors du commun à la recherche perpétuelle du ippon, le mouvement parfait qui consiste à coller les deux épaules de l’adversaire sur le tatami. A tel point qu’au Japon, berceau de la « voie de la souplesse », même les plus pointilleux experts s’accordent sur son génie. « Le judo façon Décosse, c’est l’expression même de la lame du samouraï qui transperce, la métaphore du ippon, résume Olivier Remy, rédacteur en chef du bimestriel L’Esprit du judo. Elle n’attaque pas beaucoup. Elle grappille, s’ajuste, neutralise la garde adverse, et quand elle sent qu’elle a ses mains parfaitement placées, elle enclenche. Il suffit d’une ou deux attaques dans le combat. C’est comme si le mouvement était l’aboutissement logique de ce travail de sape. »

Problème : depuis décembre 2012, la Fédération internationale du judo a décidé d’instaurer de nouvelles règles pour engager les athlètes à attaquer davantage après le spectacle lénifiant des Jeux de Londres. Une révolution pour beaucoup de judokas, à l’instar de Lucie Décosse, qui éprouve certaines difficultés à trouver ses repères. « Ces règles ne vont pas dans mon sens, c’est certain. Pendant quinze ans, j’ai attendu le bon moment pour faire tomber, et maintenant, je dois attaquer à chaque séquence si je ne veux pas me faire pénaliser. On est loin de ce que je faisais avant », constate-t-elle.

KIM POLLING, LA RIVALE

Dans ces conditions, difficile de gagner et de tirer comme il se doit sa révérence. Car, aussi grandiose qu’il soit, même orné d’un quatrième titre planétaire, le palmarès de Lucie Décosse ne peut rivaliser avec celui de son illustre cadet Teddy Riner. Depuis 2007, date de son premier titre mondial à Rio de Janeiro, le Guadeloupéen focalise l’attention. Surtout depuis qu’il a conquis le titre olympique à Londres. Et sauf accident, le colosse devrait s’emparer d’un 6e titre mondial sur les mêmes terres qui l’avaient fait roi il y a six ans.

La dernière sortie de la star du judo mondial, le 27 avril, renforce d’ailleurs le pronostic. Amoindri par une pubalgie lors des championnats d’Europe à Budapest, Teddy Riner avait quand même réussi à se hisser sur la plus haute marche. « Gagner sur une jambe… Teddy en arrive à un point ou l’on ne peut plus le considérer comme un judoka normal, rigole Lucie Décosse. Son prochain défi, c’est de gagner un championnat du monde avec seulement deux mois d’entraînement dans les pattes… C’est fou. » Et comme à chacune de ses sorties, la performance du quintuple champion du monde laissera peu d’espace médiatique aux autres médaillés. « C’est vrai que Lucie, compte tenu du phénomène Riner, a plus de mal à trouver sa place. Mais elle la trouve sur le tapis, confie Thierry Rey, champion olympique en 1980, devenu conseiller chargé des sports à l’Elysée. Mais si elle n’est pas la plus médiatique, le monde du judo s’accorde à reconnaître néanmoins que c’est un monstre sacré. C’est ça qui compte réellement. »

Aux championnats du monde à Rio, l’affiche s’annonce déjà alléchante entre la multimédaillée française et sa rivale néerlandaise Kim Polling, invaincue cette année et forte de son statut de numéro 1 mondiale. A tel point que le pari peut sembler insensé pour Lucie Décosse, qui aurait pu finir en beauté sur son titre olympique et embrasser une carrière de journaliste, le métier auquel elle se destine. « Après les Jeux, je n’avais pas décidé d’arrêter, explique-t-elle. Mais j’ai eu du mal à me relancer. Polling a un judo offensif et efficace, elle est grande, très stable. C’est sûr que ça va être dur, mais pas impossible. Tout va se jouer le jour J et je pense que j’ai les moyens de l’accrocher. »

Si tous les observateurs appréhendent cette échéance en se remémorant le douloureux échec du Tournoi de Paris, Lucie Décosse préfère, elle, ne plus y penser. « Si les gens retiennent mes défaites en finale des JO de Pékin [elle avait été battue en finale sur un puissant uchi mata de la Japonaise Ayumi Tanimoto] et le contre du Tournoi de Paris, je trouve ça dommage, réagit-elle. J’ai connu beaucoup de victoires autrement plus marquantes. » Et si jamais elle parvient à décrocher un quatrième sceptre mondial à Rio, ses larmes, cette fois, seront de joie.

Source : lemonde.fr
http://www.lemonde.fr/sport/article/2013/08/29/judo_3468584_3242.html

Commentaires

commentaires

  • facebook Facebook
  • googleplus GooglePlus
  • twitter Twitter
  • linkedin Linkedin
  • linkedin Telegram
Précédent «
Suivant »