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[SOCIÉTÉ] NICKI MINAJ DÉNIGRE T-ELLE L’IMAGE DES FEMMES NOIRES ?

Depuis quelques jours, les médias s’interrogent au sujet de Nicki Minaj: est-elle allée trop loin avec la « pochette » de son nouveau single où on la voit de dos vêtue uniquement d’un string rose? Étonnamment, toutefois, personne ne se questionne sur les racines historiques, la résonance culturelle et les implications contemporaines de ce genre d’image qui réduit la femme noire à rien de plus qu’un gros derrière.

Selon des critiques de la culture noire tels que Patricia Hill Collins, un des exemples historiques les plus célèbres de cette déshumanisation de la femme noire à travers le stéréotype du « booty » est le cas d’une esclave sud-africaine du nom de Sarah Baartman. Elle a passé la majeure partie de sa vie exhibée en phénomène de foire à cause de la taille de ses fesses. On la présentait, à Londres et Paris, sous le nom de Vénus de Hottentote, souvent dans une cage. À sa mort, indigente, en 1815, on l’a disséquée et ses organes génitaux ont été préservés dans un musée parisien jusqu’en 1974.

Dans le monde du porno, les sites Web dont le nom contient le mot « booty » sont légion -Big Booty Cuties, Black Booty Cam-, tandis que d’innombrables autres font très clairement référence au fait que les fesses de femmes noires sont l’attraction principale -Sweet Chocolate Butt, Phat Ass Ebony, et autres Black Sweet Ass. Et c’est sans compter tous les autres sites où la présence de femmes noires est annoncée avec le mot « booty » à un endroit ou un autre des slogans promotionnels où on promet aux utilisateurs de « gros derrières noirs bien ronds ».

La fétichisation du « Black Booty » est également très commune dans la culture populaire -surtout dans le monde du hip-hop, qui est majoritairement dirigé par des corporations appartenant à des hommes blancs-, et elle doit être analysée dans le contexte du racisme sexualisé dont ont fait l’objet les femmes noires américaines de l’époque de l’esclavage jusqu’à aujourd’hui. Aux États-Unis, l’imagerie sexuelle n’est jamais uniquement sexuelle, tout particulièrement lorsqu’il s’agit des femmes afro-américaines. Dans son livre White Screens, Black Images, le regretté critique de cinéma James Snead écrivait: « dans tous les films hollywoodiens, le politique n’est jamais bien loin du sexuel lorsqu’il est question de l’image que l’on véhicule au sujet des noirs ». En effet, et on pourrait facilement postuler que le sexuel n’est jamais loin du politique lorsqu’il est question de l’image véhiculée dans tous les types de médias au sujet de la femme afro-américaine.

Historiquement, les images racistes véhiculées au sujet des femmes noires ont toujours servi à légitimer leur viol sur les plantations. Les enfants issus de ces viols perpétrés par les propriétaires et les superviseurs de plantations étaient faciles à reconnaître, puisqu’ils avaient une carnation plus pâle que les enfants qui avaient deux parents africains. Alors, comment expliquer une telle chose à une époque où les propriétaires fonciers étaient par défaut considérés comme d’honnêtes citoyens? La réponse, de toute évidence, était de dépeindre la femme noire comme sexuellement incontrôlable, habitée d’un appétit sexuel animal et insatiable auquel il était impossible, pour un négrier, de résister. Ainsi, cette image de salope construite de toutes pièces permettait à l’homme blanc d’être absolu de ses péchés.

Ce n’est pas un hasard que l’on voit tant d’images de femmes noires vêtues de motifs animaux ou posées en compagnie d’animaux sauvages dans la culture populaire. Ironiquement, une des images de ce genre les plus populaires est une image de Nicki Minaj posée dans une combinaison une-pièce à imprimé animal. Flairant la bonne affaire, Kmart a même lancé une gamme de vêtements, tous à imprimés animaux, qu’elle a baptisé le « look Nicki Minaj ». Dans son vidéoclip Stupid Hoe, on voit Minaj dans une cage vêtue d’un habit moulant au motif de léopard et le montage nous montre en succession rapide des images d’animaux sauvages et de Minaj à quatre pattes dans sa cage. Et voilà que son nouveau single porte le nom d’un serpent, l’ultime symbole de la tentatrice sexuelle!

Bien entendu, les images hypersexualisées de la femme blanche abondent également dans la culture populaire, mais dans le cas de la femme blanche, cette hypersexualisation n’est pas le résultat du fait qu’elle soit blanche, puisque cette « blancheur » est incolore et, donc, invisible grâce au pouvoir qui lui est inhérent. Pour les gens de couleur, toutefois, c’est précisément leur couleur qui les rend constamment visibles en tant que groupe racialisé, puisqu’ils portent directement sur leur peau le marqueur de cette « différence ». Ainsi, les images hypersexualisées de la femme noire actuelle redonnent vie à de vieux stéréotypes qui n’ont jamais cessé de circuler dans notre société. Ces stéréotypes sont le plus souvent un produit du passé, mais leur circulation dans la culture populaire actuelle leur permet de s’ancrer dans celle-ci.

Sans égard au pouvoir économique et culturel de Nicki Minaj -et à ce qui a parfois l’apparence d’un détournement ironique de ces images racistes dans ses vidéoclips-, la notion de la femme noire hypersexualisée et vivant dans la promiscuité est, encore aujourd’hui, l’idéologie dominante aux États-Unis. On pense ici, entre autres exemples, au président Ronald Reagan et à son image incroyablement raciste de la « reine des allocations » qu’il utilisait publiquement pour parler des femmes noires bénéficiaires d’aide publique, ou encore au New York Post qui avait traité Nafissatou Diallo de « pute » après qu’elle ait accusé Dominique Strauss Kahn de viol. Les États-Unis ont encore bien du chemin à faire avant de s’affranchir de leur affreux passé raciste et de toutes les façons perverses dont les images racistes continuent d’informer l’imagination blanche de nos jours.

Source : http://www.huffingtonpost.fr/gail-dines/nicki-minaj-grosses-fesses_b_5632740.html

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