[SOCIÉTÉ] JE NE SUIS PAS RACISTE, JE SUIS PIRE

Je suis marocaine et j’ai honte de moi-même. Non que je ne sois pas porteuse de belles valeurs. Mais je vois se craqueler ma noblesse porcelaine. Mes lâches silences face à l’ignominie ôtent toute sa beauté à mes grands discours humanistes et mes honorables pensées sur la justice et l’égalité entre les Hommes.

En moins de deux mois, Tina M., Alex Toussaint et Ismaila Fay ont payé de leurs vie et dignité, le prix d’un rêve. Celui d’une vie meilleure dans un pays voisin, ami et frère. Ils y ont cru. Quoi de plus naturel que de trouver refuge, espoir et sécurité chez cet autre qui ouvre grands ses bras à l’étranger et à la différence? Quelle désillusion pour toi Mon Frère ! Quand tu n’as pas connu le mépris de l’autre, quand tu n’as pas vécu la solitude parmi « tes frères », tu es passé, invisible, sous les yeux de la plupart.

nvisible, sous les yeux de la plupart.

Ismaila Faye, jeune sénégalais assassiné le 14 août à Rabat.

Pour toi Mon Frère, je fais mon mea culpa et je te dévoile ma face honteuse. Pour toi Mon frère, je dis tout ce que je fais semblant de ne pas entendre. Comprends que je veux te regarder dans les yeux, sans honte car…

Quand je ne trouve aucun mal à ce qu’on appelle nègre, Âazzi, Âabd ou Kahlouch, le jeune homme qui porte la couleur de ma terre sur sa peau, j’ai honte de moi…

Quand je souris, même gênée, lorsque ma mère me demande de ne pas lui ramener un mari noir, au fond, j’ai honte de moi…

Quand je ne commente pas lorsque mon voisin me raconte fièrement comment il s’est opposé à la location de l’appartement du 5e à un jeune couple noir, j’ai honte de moi…

Quand je n’émets aucune objection à ce que l’épicier me serve moi la première, en expliquant que la cannibale derrière moi peut se nourrir de viande crue, j’ai honte de moi…

Quand je ne réponds pas au chauffeur de taxi qui refuse de transporter des noirs sous prétexte qu’ils sont bruyants, râleurs ou qu’ils sentent mauvais, alors que lui même pue à des kilomètres, j’ai honte de moi…

Quand je ne lève pas le petit doigt pour arrêter le serveur de café qui chasse le mendiant noir tout à fait discret, alors qu’il vient d’offrir des pièces à un mendiant marocain, j’ai honte de moi…

Quand je laisse des enfants pincer des jeunes étudiantes dans mon quartier, ou s’agripper à leurs fesses pour simuler un acte sexuel, sans un mot pour les réprimander, j’ai décidément très honte de moi…

Quand je ne réagis pas au viol d’une jeune adolescente par quatre policiers, alors que je milite de tout mon être contre l’abomination du viol, j’ai encore honte de moi…

Quand j’apprends qu’un père de famille a été maltraité et a trouvé la mort, n’ayant pour tout crime que sa couleur foncée, j’ai très honte de moi…

Quand je vois l’indifférence de mes compatriotes via à vis de l’assassinat d’un sub-saharien par un malfrat marocain et qu’elle me renvoie l’image de ma propre inaction, j’ai honte de moi…

Quand je vois le sourire de Dakar ou la fraicheur d’Abidjan m’accueillir à l’aéroport, pendant mes séjours professionnels, quand je sens la chaleur qu’on me réserve parce que je viens du Maroc, j’ai définitivement honte de moi…

Quand à mon retour avec une délégation d’hommes d’affaires sub-sahariens, le gardien de voiture, pauvre et totalement méprisé par la société, s’estime heureux de ne pas être né noir, je me dis qu’il y a déséquilibre dans le déséquilibre…

Dire que nous nous targuons de la foi musulmane qui a aboli l’esclavage et les différences entre les Hommes. Dire nous avons subi et continuons à subir toutes les formes de discrimination dans les pays étrangers, aussi bien occidentaux qu’orientaux : de l’islamophobie, de l’arabophobie et de la maghrebophobie. Dire que nous nous vantons que le Maroc est le portail de l’Afrique, alors qu’il en est tout simplement le geôlier. Nous sommes un pays qui a oublié ses origines…

Que connaissons-nous de l’Afrique?

Qu’avons-nous de ce continent, à part quelques mètres carrés de terre et cette volonté de fuir de l’autre côté de la mer? Où voulons-nous échouer loin de la terre de nos racines et les millions d’âmes qui la peuplent?

Comment pouvons-nous voiler les empreintes d’africanité qui nous collent à la peau? Comment pouvons-nous nous aimer, si nous sommes incapables de voir sur nos miroirs, notre part noire? Noire comme l’étendue de la nuit, comme la peau d’un tambour séculaire, comme la richesse des oliviers de nos terres, comme le sol de nos contrées… Noire comme la vie avant d’embrasser la lumière… Noir n’est pas funèbre…

 

En hommage à Ismaila Faye, Tina M. et Alex Toussaint.

source : qandisha.ma

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