• Accueil
  • >
  • SOCIÉTÉ
  • >
  • Inceste : “Chez les Africains, on ne lave pas son linge sale en public et les victimes doivent vivre avec.”

Inceste : “Chez les Africains, on ne lave pas son linge sale en public et les victimes doivent vivre avec.”

Alors que la parole se libère et que les témoignages de victimes d’inceste se multiplient sur les réseaux sociaux, selon les origines culturelles ou sociales, les victimes n’ont pas le même droit face à l’horreur. Leur statut n’est pas toujours reconnu de tous, et parfois, la pression des proches, l’harmonie familiale qui doit être préservée les contraignent au silence. 

“J’avais 8 ans quand ma mère s’est mise avec ce monsieur. C’est arrivé plusieurs fois. La nuit, le jour… Il a continué comme ça jusqu’à mes 11 ans. Une nuit, ma mère a trouvé étrange qu’il se soit éclipsé de leur lit et a tout découvert. Elle l’a confronté, il a tout nié. Elle m’a dit qu’il allait partir, mais il n’est jamais parti.”, témoigne une jeune femme d’origine centrafricaine qui a souhaité garder l’anonymat. Aujourd’hui âgée de 28 ans, A* déplore que la honte soit du mauvais côté.

Plusieurs fois elle a tenté de confronter cet homme qui partage toujours la maison de sa mère. Il y a quatre ans, il a avoué : “Il va partir, c’est terminé”, avait assuré sa mère. Mais comme à ses 11 ans, il est resté. La jeune femme regrette de ne pas avoir dénoncé ce beau-père déviant lorsqu’elle en avait eu l’occasion à l’âge de 13 ans. La famille avait eu affaire au tribunal après des faits de maltraitance. “Ma soeur en a parlé à la police, mais ma mère a dit qu’il ne fallait rien dire alors je me suis tue. A ce moment-là, toute notre famille l’a appris.”, raconte A. Des années plus tard, elle n’a plus la force d’affronter cet homme qui a volé son innocence, à elle, mais peut-être aussi à d’autres, s’interroge-t-elle. “Il passait beaucoup de temps avec ma nièce et à chaque fois j’avais très peur pour elle. J’ai dû retourner vivre chez ma mère et savoir qu’il est là et ce dont il est capable, me rend très protectrice envers mon fils. Quand on voit mon beau-père, il n’a pas l’air méchant. Personne ne se douterait de ça. Je ne suis jamais à l’aise quand je le vois avec un enfant.”, confie la jeune femme. 

 

Une pathologie psychologique

En fouillant dans le passé des prédateurs, l’on peut découvrir qu’ils ont eux-même été attouchés ou abusés, ce qui peut expliquer un rapport déviant à la sexualité, s’accordent les experts. D’autres facteurs tels que la dépendance affective peuvent conduire à une hypersexualité. Dans la sphère familiale, la victime est à portée de main, sa perception biaisée : le lien familial est rompu. Selon Koro Camara, psychologue clinicienne et psychothérapeute, “pour la personne qui soumet l’inceste, qui que soit l’individu, il n’a plus conscience que c’est un membre de sa famille”, explique la psychologue. Et d’ajouter : “Je ne pense pas non plus que ce soit une véritable attirance, il y a quelque chose de sous-jacent. Il est possible qu’il soit déconnecté de la réalité. Une pathologie psychologique se cache derrière.”

 

“Sur le moment quand ça se passe, on ne réalise pas trop que c’est anormal, que c’est mal donc on n’en parle pas. Un jour, j’ai surpris une conversation entre des adultes qui parlaient de l’inceste. C’est là que j’ai compris que [ma sœur] avait une emprise sur moi. Elle me disait ‘Tu dois faire ça sur moi, sinon je vais dire à tout le monde que t’es comme ça’ (en parlant de son anatomie). J’avais peur, ça m’a atteint à tel point que pendant une grande partie de ma vie, j’ai été obèse. Cela a eu un impacte sur ma santé, sur ma sexualité en tant qu’homme.”, témoigne B*, 29 ans et d’origine congolaise. Le jeune homme s’est confié à très peu de personnes de son entourage sur les sévices qu’il a subi dans l’enfance de la part de sa sœur de six ans son aînée. Aujourd’hui marié et père d’une petite fille, il a peur de lui-même. “J’ai peur pour ma fille. Depuis que je suis devenu papa, j’ai développé un mal être, des problèmes d’addictions à la pornographie et je suis persuadé que c’est lié à ce que j’ai vécu.”, affirme-t-il. Et de poursuivre : « À chaque fois, j’avais un sentiment de culpabilité.  La même culpabilité que pour les grosses fringales, mais dès que j’étais pas bien, c’était ma soupape de décompression.”

“C’était la première et la seule fois où j’ai vu mon père pleurer.”

 

Les psychologues reconnaissent les addictions, les troubles alimentaires ou encore la dépressions comme des conséquences liées au viol. Bien que variables d’un individu à l’autre selon la sensibilité de chacun, mais aussi la durée de la période pendant laquelle ces sévices ont été perpétrés, de nombreux troubles sont récurrents chez les victimes. On observe une relation dysfonctionnelle à soi-même et à l’autre, la perte d’estime de soi, la difficulté d’acceptation de son corps, le vaginisme (primaire ou secondaire) chez les femmes, le rejet au sexe, les tentatives de suicide, la mutilation, mais aussi certaines formes de dépressions sévères, l’hyper vigilance, le rejet de la famille et l’isolement.

 

C*, 31 ans et jeune cadre d’origine ivoirienne a créé en 2020 Dechiré mais restauré, un compte Instagram pour libérer la parole et encourager les victimes d’inceste. “J’étais poussée à parler de ce sujet qui est trop tabou dans les familles africaine.”, explique-t-elle. “Que l’on ait subi ou pas des attouchements, l’inceste, l’important c’est de libérer la parole. Je me sens victorieuse. Ca permet de dire à quelqu’un d’autre qu’il n’est pas seul.”, déclare la jeune femme qui a été abusée par son oncle maternel pendant près de cinq ans. Son calvaire a pris fin lorsque son petit frère a surpris son oncle et l’a dénoncé à ses parents.

“Il devait être 4 heures du matin, mes parents l’ont mis à la porte. C’était la première et la seule fois où j’ai vu mon père pleurer.”, se rappelle-t-elle. “Ma mère m’a envoyé voir une gynécologue, il lui a dit que j’étais toujours vierge. Une fois qu’ils ont eu la réponse de la gynécologue, je n’ai plus jamais parlé de ça avec ma mère, ni mon père.”, un silence pesant pour la jeune femme qui espérait un réconfort significatif de la part de ses parents : “On ne parle pas de sexualité à dans ma famille. Il y a une forme de pudeur. Après pour l’inceste, c’est de la culpabilité peut-être.” Les liens entre sa famille et cet oncle ont été rompus pendant quelques années, puis sa mère lui a demandé si elle était prête à revoir cet homme revenir chez eux. 

 

“Le manque de communication nous gangrène et nous empêche d’avancer”

“Pour étouffer l’agression que la victime a subie dans la famille et éviter le scandal intra-familial, il y a bcp de choses qui ne sont pas dites. C’est tabou. Chez les Africains, on ne lave pas son linge sale en public et les victimes doivent vivre avec.”, relève Koro Camara. Pour la psychologue, ce mode de pensée sert et protège l’agresseur au détriment de la victime. “J’ai reçu dans mon cabinet une famille pour une consultation interculturelle, la fille était tombée enceinte de son propre frère, au départ ses parents l’ignoraient et ont porté plainte. Quand ils ont appris que l’homme qui l’avait violée était leur fils, ils l’ont retirée.”, illustre-t-elle d’un exemple. B. rejoint la spécialiste : “Il faut déconstruire les mentalités, sensibiliser les familles parce que chez nous, c’est très tabou. Quand j’étais petit, je rêvais d’aller en colonies de vacances mais je n’y suis jamais allé parce que mes parents craignaient que les moniteurs soient des prédateurs. Alors que j’ai subi ça au sein de la famille. Le mal peut être à l’intérieur.” Et de poursuivre : “Je suis attaché à ma culture congolaise, mais j’ai grandi en France, j’ai une double culture. Je vois que c’est important d’en parler, que le manque de communication nous gangrène et nous empêche d’avancer. Certains caricaturent et disent que d’en parler c’est faire le babtou fragile, mais ça n’a rien à voir avec la couleur.”

D’après un sondage commandé par l’association Face à l’inceste, 6,7 millions de Français se déclarent victimes d’inceste.

 

*Les interlocuteurs étant anonymes, leur identité n’a pas été divulguée.

 

Naomi Mackako

Commentaires

commentaires

  • facebook Facebook
  • googleplus GooglePlus
  • twitter Twitter
  • linkedin Linkedin
  • linkedin Telegram
Précédent «
Suivant »