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[CULTURE] LE BLANCHIMENT DES TROUPES DE LIBÉRATION DE PARIS EN 1944

Le proverbe africain:Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur.

HISTOIRE Les photos de 1944 représentent rarement des soldats noirs, victimes de la politique ségrégationniste américaine, jusque dans la 2e DB du général Leclerc.

«C’est la seule image de notre fonds où l’on voit un soldat noir.» La seule sur les 1 500 photographies collectées par François Boucher, le commissaire de la première exposition consacrée à la Libération de Paris présentée le 11 novembre 1944 au musée Carnavalet. Soixante-dix ans plus tard, à l’occasion de la date anniversaire du départ des troupes allemandes de la capitale, la ville de Paris propose des dizaines d’animations et d’expositions. Le musée Carnavalet a donc eu l’idée de se replonger dans le fonds collecté par François Boucher, et de refaire l’exposition qu’il avait réalisée à chaud en 1944, avec le regard qu’on porte aujourd’hui sur la Libération de Paris. Un regard différent, où il est question des oubliés de cette bataille, et grâce auquel on aperçoit une photo surprenante: celle d’un soldat noir au milieu d’une foule de prisonniers allemands, lors de la reddition de la Kommandantur. L’image interpelle par sa rareté et son poids historique. Car selon Catherine Tambrun, commissaire de l’exposition «Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé», cet homme serait «l’un des rares soldats noirs qui n’a pas été touché par les exigences américaines de « blanchir » l’armée de libération».

UNE SÉGRÉGATION IMPOSÉE PAR LES ETATS-UNIS

«Pourquoi cette photographie n’a-t-elle pas été exposée en 1944 ? s’interroge Catherine Tambrun devant le panneau qu’elle lui a consacré. En la voyant, on se pose la question. D’autant plus que la qualité est bonne.» Lors de l’inventaire du fonds collecté par François Boucher en 1944, la photographie l’a immédiatement interpellée. «Elle ne figure sur aucune des représentations de panneaux que nous gardons de l’exposition de novembre 1944, explique-t-elle. Mais nous ne pouvons affirmer qu’elle n’y était pas, puisqu’il nous manque deux panneaux, qui n’ont pas été photographiés. La logique de l’époque, ce n’était pas d’évincer ces images volontairement.» C’est simplement que les soldats noirs étaient peu nombreux à Paris en août 1944, et ce même s’ils représentaient une part importante des armées françaises. En effet, les citoyens de l’Empire représentaient 60% de leurs effectifs, avec une majorité de Marocains, d’Algériens et de Syrolibanais

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Presse Libération FFI, 25 août 1944. Reddition de la Kommandantur : des prisonniers allemands escortés par des résistants et des soldats de la 2e DB, avenue de l’Opéra, IXe arrondissement. (Photo Presse Libération. FFI. in catalogue de l’exposition «Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé» au musée Carnavalet. © Paris Musées, 2014)

Et c’est bien leur absence qui surprend les visiteurs de l’exposition. Car l’histoire du «blanchiment» des armées françaises, et en particulier celui de la deuxième division blindée du général Leclerc (2e DB), unité chargée de libérer Paris de l’occupant allemand, est encore peu connue. Tout comme celui des armées américaines. «En 1943, c’est un fait, les Américains ont envoyé à la division Leclerc des directives ségrégationnistes, explique l’historienne spécialiste de la Seconde Guerre mondiale Christine Levisse-Touzé. Il faut toutefois préciser que lorsque Leclerc crée cette division près de Casablanca, c’est un rebelle. Il rompt le sacro-saint principe d’obéissance à l’armée française et se retrouve dans l’obligation d’appliquer les directives américaines, puisque ce sont les Etats-Unis qui équipent et instruisent la 2e DB.» Mais en 1943, les Américains pratiquent encore une politique ségrégationniste sur leur sol, y compris dans leurs armées. Ce n’est qu’en 1948 que le président américain Harry Truman ordonnera la déségrégation de l’armée américaine. Jusque-là, les Américains «jugent que les Noirs ne sont pas utilisables partout, et surtout pas dans une division blindée, telle que celle du général Leclerc». En conséquence, le général Leclerc se sépare des 3 603 citoyens de l’empire que compte alors sa division. Tous se retrouvent contraints de choisir entre la démobilisation et l’intégration d’une division d’infanterie. Tous sauf un : Claude Mademba Sy, tirailleur sénégalais et pupille de la nation, décédé en avril 2014. «C’est parce qu’il a fait des études et grâce à son statut de citoyen français, et non de citoyen de l’empire, qu’il a pu rester jusqu’au bout», précise Christine Levisse-Touzé.

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Claude Mamba Sy en 1945. (Photo Collection particulière. Musée du Général-Leclerc-de-Hauteclocque-et-de-la-Libération-de-Paris – musée Jean-Moulin)

L’œil averti, l’historienne affirme ainsi que le soldat de l’image exposée au musée Carnavalet ne faisait pas partie de la 2e DB, contrairement à ce qu’on pourrait croire en lisant la légende du catalogue de l’exposition. «C’est tout simplement impossible. Il n’y en avait qu’un d’origine africaine, et c’était Claude.» Elle avance l’hypothèse qu’il s’agirait d’un soldat de la 4e division américaine. «Sans doute un chauffeur américain, car les Etats-Unis n’auraient pas permis à un Noir de combattre au sein de la 4e. Pour prendre les armes dans une armée américaine, il fallait être instruit.» Elle affirme cependant que cette image, dont il est difficile de connaître l’histoire, est loin d’être la seule représentant des soldats noirs lors de la Libération de Paris, et ce «même s’il n’y a pas pléthore de photographies». Outre ce personnage mystérieux, Claude Mademba Sy et Georges Dukson, un Gabonais membre des Forces françaises de l’intérieur (FFI), surnommé «le Lion noir du XVIIe», ont eux aussi été photographiés dans la capitale en août 1944. En fouillant dans ses archives, celle qui s’est spécialisée sur le rôle des citoyens de l’empire durant la Seconde Guerre mondiale retrouve une dizaine de photos de ce type.

Mais si l’on en croit un article d’Eric Lafon, conservateur au musée de l’Histoire vivante, tous n’étaient pas les bienvenus sur les photographies. Georges Dukson aurait ainsi été contraint de sortir du cadre de la photo, ou au moins, de s’éloigner du général de Gaulle qui se trouvait alors à ses côtés. «Sur une image [de Serge de Sazo], on voit un sous-officier français « inviter » Dukson à quitter le cortège. Mes recherches d’autres images vont confirmer que ce combattant de la libération de Paris a été sorti manu militari du cortège par ceux qui font office de service d’ordre.» Une volonté de l’écarter qu’Eric Lafon ne parvient pas à expliquer.

UN SUJET ENCORE SENSIBLE

Christine Levisse-Touzé tout comme Catherine Tambrun se veulent prudentes sur ce sujet, encore très sensible outre-Atlantique. Au musée Carnavalet, on note qu’un blog américain critique de manière virulente l’exposition à cause de l’unique photo de soldat noir et du panneau consacré aux Alliés. «La description du rôle des Américains lors de la libération de Paris ne parle que de l' »ironie » du comportement raciste et criminel de nos soldats (et citoyens)», explique le journaliste auteur du blog, qui ajoute que «durant la même période, la France était tout aussi raciste que les Etats-Unis en termes de brutalité de traitement de ses colonies en Algérie», pointant du doigt le rôle du général de Gaulle.

Si le blanchiment de l’armée américaine et de la 2e DB ne fait aucun doute, le comportement du général de Gaulle vis-à-vis des alliés et des citoyens de l’empire divise encore les chercheurs. Christine Levisse-Touzé insiste d’ailleurs sur le fait que «c’est éminemment faux que de Gaulle ne voulait pas de Noirs aux portes de Paris», appuyant son argument sur le défilé du 18 juin 1945, où les troupes de l’empire étaient présentes. Elle tient à dénoncer «les raccourcis faits dans certains articles, comme celui de la BBC (publié en 2009), qui ne prennent pas en compte la situation de l’époque, où la Force libre était soumise aux ordres des Américains». Reste que les photos représentant des soldats noirs sont rares, qu’ils soient Américains ou citoyens de l’empire.

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Cette image, découverte dans un autre fonds photographique et réalisée par Jean-Marie Marcel en août 1944, représente une femme soldat d’origine afro-américaine juchée sur un char à Paris. Difficile d’en connaître l’histoire, tant la photographie étonne quand on comprend quelle était la politique de l’époque. Interrogée sur cette photo, Christine Levisse-Touzé nous confie qu’elle ne l’avait jamais vue auparavant. (Photo Jean-Marie Marcel. adoc-photos)

un article de Luc BRIAND et Aude DERAEDT

Source : http://www.liberation.fr/…/paris-libere-uniquement-par-des-…

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