CPI: GBAGBO BIENTÔT EN LIBERTÉ PROVISOIRE ?

Dans une interview à la Deutsche Welle ( La voix de l’Allemagne), l’une des avocates de l’ex-président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, parle des procédures à la Cour pénale internationale (Cpi). Me Habiba Touré nous donne ici plus de détails sur l’information relative au pays d’accueil en cas de liberté provisoire de M. Gbagbo détenu depuis 7 ans au CPI

Où est-ce qu’on en est avec la demande de libération provisoire de Laurent Gbagbo ?

Pour l’instant, nous ne sommes pas au stade d’une demande de liberté provisoire. On est au stade d’analyser les éléments de preuves et de mémoire soumis par le bureau du procureur, Mme Bensouda, à la suite de la fin des témoignages de tous ses témoins. Dès lors, c’est plutôt ses documents que la Défense, actuellement, analyse en vue de présenter, à son tour, des observations. Voilà ce que je peux vous dire quant au niveau de la procédure.

Vous vous êtes basés sur quels éléments pour solliciter cette demande de liberté provisoire ?

Non ! Comme je vous l’ai indiqué, aujourd’hui on n’est pas au stade de la demande d’une remise en liberté provisoire. Maintenant, s’il doit y avoir une demande de mise en liberté provisoire, il est évident qu’elle sera fondée. Mais, comme au regard de l’actualité judiciaire sur le fait aussi que le bureau du procureur a fini de présenter tous ces témoins, donc une mise en liberté du président Laurent Gbagbo ne pourrait pas nuire ou gêner les témoins. On ne pourrait même pas faire de pression éventuelle sur des témoins vu qu’ils sont déjà tous passés. Donc, aujourd’hui, au regard de la durée de la procédure, du fait quand même que le président Laurent Gbagbo est présumé innocent et outre le fait que tous les témoins d’accusation sont passés, il revient maintenant aux témoins de la Défense de passer. Rien ne justifie de maintenir en détention le président Laurent Gbagbo. Donc il est évident qu’au regard de ces éléments, nous espérons, bien évidemment, que, par la suite, la mise en liberté provisoire puisse aboutir à la libération effective de Laurent Gbagbo.

L’année dernière, nos confrères de « Jeune Afrique » avaient laissé entendre dans l’une de leurs parutions que Laurent Gbagbo aurait choisi la Belgique pour vivre en cas de liberté provisoire ?

Je l’ai lu comme vous. Mais, bien évidemment, c’est une rumeur. Je ne sais pas trop sur quoi se fondent vos confrères de « Jeune Afrique » . Ce n’est qu’une rumeur. La question fondamentale qui se pose à la Défense, outre le fait de répliquer aux éléments de preuves de Mme le procureur, c’est surtout d’obtenir une demande de mise en liberté provisoire. Ce sont les arguments que je vous ai indiqués, et bien d’autres évidemment. Et, par la suite, la question du pays va se poser. Donc, à mon avis, j’estime que, pour nous, c’est une rumeur, ce n’est pas grand-chose. Mais, une rumeur journalistique.

Me Emmanuel Altit, qui est l’un de vos confrères et aussi un conseiller de Laurent Gbagbo, pense qu’il y a du dilatoire dans le dossier de Laurent Gbagbo. Est-ce que vous pensez partager son point de vue ?

Écoutez, ça fait 7 ans que ça dure !

Peut être que c’est la procédure de la Cour pénale internationale (Cpi) qui est comme ça ?

Oui, mais, dans ce cas là, vous ne privez pas un homme de 7 ans de liberté, 7 ans de sa vie ? Ça fait 7 ans que ça dure. Je pense qu’il faut une certaine logique. Vous prenez tous les systèmes judiciaires des pays occidentaux, vous verrez qu’une détention de 7 ans est anormalement longue. C’est même contraire à la position de la Cour européenne des droits de l’Homme. On peut nous expliquer que la procédure est particulière à la Cpi, que les faits reprochés sont graves, mais, certes, il demeure présumé innocent. Ça, il ne faut pas l’oublier tout de même. Dès lors qu’une procédure est aussi longue, qu’il y ait des suspensions d’audiences motivés par le fait que la Cour n’a pas les moyens de poursuivre les audiences et qu’elle décide de la suspension des audiences pour reprendre, comment pouvez-vous justifier qu’on prive un homme de sa liberté, puisqu’on est dans les scènes de la détention en faisant état de manque de moyen de la Cour ? Ce n’est pas normal. Ce n’est même pas un argument juridique. Évidemment qu’il y a du dilatoire. Ill est manifeste et se fait au détriment de la liberté d’un homme qui est présumé innocent.

Jusqu’à présent les témoins, donc de la défense, vous disiez, ne sont pas passés à la barre. Vous espérer de les voir à la barre sous peu ?

Pour l’instant comme je vous l’ai indiqué, c’est la première étape parce que le calendrier n’a pas encore été déterminé par la Cour. Aujourd’hui, ce que la Cour demande des parties, donc, des défenses du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé, c’est de répliquer, de faire leur observations encore une fois sur le mémoire du bureau du procureur. Ce n’est qu’après, au regard de ce que le bureau du procureur indique qu’une liste de témoins sera ou non soumise. Et pour l’instant, les défenses respectives analysent les éléments et répliquerons. Souffrez que pour l’instant, on ne puisse vous donner un peu plus d’éléments. Mais, en tout cas, ce qui est certain, on peut vous dire, qu’aujourd’hui, il y a des temps de phases de travail intense parce que les délais donnés sont assez Courts.

Les témoins qui se sont succédé à la barre se sont quelquefois contredits. Pour vous, c’est la preuve qu’il s’agit là d’un procès politique ?

Ce n’est pas le fait que des témoins se contredisent qui montre que c’est un procès politique. Vous savez que, même dans les affaires de droit commun, des témoins peuvent se contredire. Donc ce n’est pas ça qui montre, pour moi, que c’est un procès politique. Ce qui montre malheureusement que c’est un procès politique, c’est l’attitude du procureur Ocampo à l’époque et du procureur Bensouda aujourd’hui. Le procureur Ocampo, vous avez dû voir vous-mêmes, que vos confrères du journal  »Mediapart » ont fait l’écho de tous les scandales qui affectent le procureur Ocampo. Du fait qu’il se soit finalement intéressé au cas du président Laurent Gbagbo, sollicitant même son maintien en détention alors qu’il n’était même pas saisi et que la Cour pénale internationale n’avait même pas encore pris l’affaire. Donc, dès lors, on voit bien que l’attitude du procureur est une attitude parfaitement partisane, voire politique, dans la mesure où on prend attache avec l’adversaire du président Laurent Gbagbo qui a été installé au pouvoir et on lui demande de maintenir en détention le président Laurent Gbagbo. Détention dont la légalité se pose puisqu’au moment où il était détenu, il n’était pas inculpé. Il n’était pas mis en examen, donc, c’était une détention arbitraire. C’est ce qui nous fait dire que l’attitude du procureur est vraiment problématique. On poursuit le président Laurent Gbagbo pour une crise post-électorale et sa procédure à lui concerne 300 victimes avec des ayants droit, c’est-à-dire, les héritiers de personnes décédées. On arrive à 600 victimes pour une crise qui a fait plus de 3000 morts officiellement avec une enquête concernant le président Laurent Gbagbo et des faits qui lui sont reprochés qui n’a duré qu’un mois avant l’émission de mandats d’arrêt. Et de l’autre côté, pour 7 ans de procédure et 7 ans d’enquête, on voit que le bureau du procureur n’a délivré aucun mandat d’arrêt, par exemple, sur les massacres de Duékoué et ce qui est arrivé à Nahibly. Aucun mandat d’arrêt n’a été délivré. La procureur sait très bien qu’il y a des milliers de gens qui ont tout perdu, ont été violés, massacrés, persécutés et qui sont aujourd’hui parqués dans des camps de réfugiés au Ghana et au Togo. Mais, le bureau du procureur ne fait rien pour ces gens là qui réclament justice. Donc, on voit bien c’est cette manière de se comporter qui met en évidence le caractère politique. Car, si on se soucie des victimes, de toutes les victimes, on ne fait pas de distinction. La Côte d’Ivoire a besoin de se réconcilier. Pour se réconcilier, il faut une vérité et cette vérité, c’est aussi prendre en considération toutes les victimes et pas avoir une vision manichéenne et accabler le président Laurent Gbagbo de 300 victimes directes pour lesquelles ont a du mal à apporter des preuves de sa culpabilité. Alors que vous avez des survivants, vous avez des rapports d’Ong, des témoignages de gens qui vous parlent de ce qui s’est passé à Duékoué. C’est un génocide qui est intervenu, il est parfaitement scandaleux et irresponsable de la part de Mme la procureure de ne pas rendre justice à ces victimes.

Si je vous comprends bien, vous souhaitez que ceux qui sont impliqués dans les violences dans le camp Ouattara puissent également répondre de leurs actes ?

Je veux la justice pour toutes les victimes, et évidemment que ce soit pour le président Ouattara lui-même, qu’il s’agisse de M. Soro, des Com’Zones ou de toutes autres personnes suspectées et qui après avoir accompli de graves crimes contre l’humanité, doivent pouvoir répondre de leurs actes devant la Cour pénale internationale. Sinon, nous donnerons l’impression que cette Cour est là pour mettre à l’ombre de redoutables adversaires politiques et pas pour rendre justice aux victimes. Pour la paix en Côte d’Ivoire, pour la réconciliation, vous ne pouvez pas faire comme si il n’y avait pas des gens qui étaient parqués dans des camps de réfugiés dans toute la sous région. Vous ne pouvez pas faire comme si Duékoué, Bloléquin, Guitrozon…n’avait pas existé ? Ce n’est pas possible. Il faut rendre justice à toutes ces victimes. Le silence gardé par le bureau du procureur la rend coupable. C’est un silence coupable. Une inertiecoupable parce qu’elle fait du mal aux victimes qui désespèrent de la justice et qui pourraient demain se faire justice elles-mêmes. Et ce moment-là sera gravissime pour la paix en Côte d’Ivoire, pour la stabilité du pays et même pour la cohésion nationale. C’est fondamental que la justice parle. (…) Si la procureur ne veut pas avoir l’impression de faire plus de politique qu’autre chose, elle doit rendre justice. Et puis petite précision quand même, sous le président Laurent Gbagbo qu’on présente comme un vilain dictateur qui massacrait son peuple, il n’y a jamais eu de camp de réfugiés. Il n’y a jamais eu de camp de réfugiés ivoiriens dans toute la sous-région.

Justement, vous parlez des réfugiés ivoiriens au Ghana, pensez-vous que les dossiers qui sont constitués sont crédibles ?

Quand vous avez été violé, massacré, quand vous avez perdu tout votre famille, des enfants, est-ce qu’on peut remettre en question leur crédibilité à moins de sombrer dans le négationnisme et nous dire que Duékoué n’a jamais existé, qu’il n’y a pas eu de massacre dans cette localité et que finalement les vidéos sont des inventions ? Donc, évidemment, ce sont des éléments crédibles. La seule existence de ces victimes, de ces rescapés constitue des preuves crédibles qui témoignent des exactions graves qui sont intervenues en Côte d’Ivoire. Et il ne faut pas les passer sous silence.

Me Habiba, il y a quelques mois, certains chefs d’États africains ont initié une pétition pour exiger la libération de votre client Laurent Gbagbo. Où en est-on avec cette pétition ?

La pétition avait réuni des millions de personnes et c’était une très bonne chose. On a vu effectivement que le président Laurent Gbagbo était assez populaire sur le continent africain puisque ce qu’il vit est perçu comme une véritable injustice. Ce qui n’est pas faux. Il suffit de regarder le procès pour se rendre compte que c’est un petit peu aberrant ce qui lui est fait. Mais, il n’en demeure pas moins qu’il y ait une procédure judiciaire qui n’effraie pas le président Laurent Gbagbo mais pour laquelle il demande une certaine équité et qu’on respecte sa présomption d’innocence

Revenons sur l’affaire des Ivoiriens réfugies au Ghana. Quand est-ce qu’ils vont déposer le dossier incriminant le régime actuel en place à Abidjan ?

Vous avez un peu plus de 1000 victimes qui ont rempli des dossiers qui ont été déposés auprès de la Cour pénale internationale en janvier 2016. Vous avez, ensuite, 3000 victimes qui ont également dénoncé des crimes et les exactions qu’elles ont subies en octobre 2016 et en janvier 2017. Donc, ça fait en tout plus de 4000 victimes que Me Dadjé et moi-même, avons aidés pour qu’elles obtiennent justice en déposant leurs dossiers de dénonciation de crimes auprès de la Cour pénale internationale. Mon confrère, Me Dadjé était encore récemment au Ghana pour expliquer, informer ceux qui ont rempli les dossiers, mais également ceux qui n’en ont pas rempli la procédure de la Cpi et leur dire comment cela fonctionne. Et leur droit dans le cas où cette procédure devait être enclenchée. Et à cette occasion, il y a encore de milliers de victimes qui continuent de remplir des dossiers parce qu’elles toutes sont très attachées à l’idée d’être reconnues comme des victimes, et que justice leur soit rendue.

Connaissant les modes de saisine de la Cpi, pensez-vous vraiment, Me Habiba Touré, que cette saisine pourrait prospérer ?

La Cour pénale internationale est instituée initialement sur l’idée qu’on devait mettre fin à l’impunité et que justice devait être rendue aux victimes sans qu’on puisse prendre en considération le fait que les bourreaux soient des chefs d’État, des militaires, des hauts gradés de l’armée ou des chefs d’État en exercice ou pas. C’était ça le principe. Qu’est-ce qu’on constate dans le dossier ivoirien ? C’est que des milliers de victimes de 2002 réclament justice sans que justice ne leur soit rendue. Donc, il ne s’agit pas pour elles de se bercer d’illusions. Il s’agit que chacun assume ses responsabilités devant la justice et devant l’histoire. Elles vont continuer à dénoncer les crimes qu’elles ont subis, parce qu’elles y tiennent. Maintenant, si Mme la procureure décide de ne rien faire après tout, c’est son droit . Mais, elle sera tenue pour responsable des graves exactions ou de la vengeance que pourraient vouloir les victimes d’aujourd’hui. Parce que celles d’aujourd’hui peuvent se transformer en bourreaux de demain. Vous savez quand on désespère de la justice, on finit par se venger et ce n’est jamais bon pour l’unité nationale. Donc chacun doit être mis face à ses responsabilités et sortir de cette hypocrisie. Si Mme le procureur estime qu’elle lutte pour les victimes comme elle le prétend et qu’elle veut rendre justice aux victimes, dans ce cas, elle engagera des poursuites. Si elle ne le fait pas, tout le monde pourra constater l’inertie et donc finalement une complicité passive du bureau du procureur dans le dossier ivoirien.

Et où en est-on avec le dossier de Charles Blé Goudé ?

Il en est au même niveau que celui du président Gbagbo. C’est-à-dire que les deux défenses analysent en ce moment le mémoire présenté et les annexes présentées par l’Accusation, et elles feront toutes les deux des observations.

Et à quand la prochaine comparution de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ?

On n’a pas encore de date. Pour l’instant, on est au stade d’analyse, et par la suite, du dépôt des observations.

Peut-être avant la fin de l’année 2018 ?

C’est fort possible.

DUNAMIS ADJIGO

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