[ACTUALITÉ] IMANE AYISSI, UN AFRO-MILITANT DANS LA MODE

Pour Imane Ayissi, la mode est un moyen de faire connaître sa langue natale, l’Ewondo du Cameroun. « Ces langues sont en voie de disparition. Aujourd’hui, beaucoup de gens au pays ne parlent plus leur dialecte à leurs enfants », précise-t-il. Sa dernière collection printemps-été 2015 répond au nom de Meullara qui veut dire métissage car il mélange dans une collection contemporaine des tissus d’Afrique, d’Asie et d’Occident. Précédemment, la collection automne-hiver 2012-2013 se nommait Okiri – demain en ewondo – en référence aux tonalités noire et blanche et aux découpes géométriques futuristes. Même lorsqu’il ne fait pas appel à l’Ewondo, l’allusion à l’Afrique est permanente. C’est le cas de sa collection printemps-été 2013 qu’il a nommé New York-Bambara. « J’ai trouvé une ressemblance entre l’architecture art déco new-yorkaise du début du 20e siècle et les masques gazelles Ciwara du peuple bambara au Mali », explique-t-il, pour illustrer le choix de ce nom.
Imane Ayissi est pour une image plus riche de la mode africaine
De fait, il apparaît qu’Imane Ayissi s’attache à montrer du continent des facettes multiples. Selon lui, « l’Afrique, ce n’est pas que du wax ». Et d’expliquer : « Aujourd’hui, nous avons une image de la mode africaine très colorée avec beaucoup d’imprimés ». Et de regretter le déclin des savoir-faire traditionnels comme le tissage par bandes, long à exécuter. « Les jeunes générations, attirées par la vie facile, trouvent que cela représente trop de travail et laissent tomber or tout doit être fait pour garder et promouvoir les richesses du patrimoine africain », dit-il.
Pas étonnant que le militant qu’il est se soit rendu au Cameroun auprès d’associations de femmes qui travaillent le tissu « Mon mari est capable » avec comme objectif de trouver les teintes des pièces de sa dernière collection. « Je voulais parler de l’Afrique en général avec la mise en avant de savoir-faire uniques et de tissus authentiques. J’ai utilisé le bogolan du Mali, le cracking du Ghana, le kita de Côte d’Ivoire et le faso dan fani du Burkina Faso. D’un pays à l’autre les cultures diffèrent. Rien qu’au Cameroun, il existe plus de 200 ethnies et langues », dit-il.
Une vocation précoce testée avec sa maman mannequin
Cela révèle chez le couturier, une exigence très élevée qui lui vient de loin. C’est que tout petit, il a vu sa maman dans l’univers de la mode. « J’ai eu la chance d’avoir une très jolie mère. Elle a été la première Miss Cameroun et Miss indépendance en 1960. Elle a fait du mannequinat. Et à chaque fois qu’elle voulait s’habiller, c’est moi qu’elle appelait pour remonter sa fermeture éclair sur son dos. cela m’a marqué », explique-t-il. A Yaoundé, il a commencé « à dessiner très tôt, puis à découper des torchons, des bouts de tissu et même des robes de (sa) mère pour faire des modèles. Et d’ajouter : « J’ai été sévèrement puni mais ma mère a fini par réaliser que lorsque je créais, quelque chose se passait ». Le chemin s’est ainsi ouvert. Ses petits dessins en poche, s’est rendu chez le célèbre J.E. Essomba, créateur de Blaz Design. Ensuite, c’est l’étape du stylisme pour la marque et ensuite les débuts de la carrière de mannequin au Cameroun.
Du Cameroun à la France, un chemin peu évident
Initié à la danse au sein de sa fratrie puis du Ballet national du Cameroun, il accompagne Yannick Noah en France lors de sa tournée Saga Africa en 1991. Puis à Paris les difficultés commencent. Il voit se fermer les portes de nombreuses agences de mannequins. « Personne ne m’a repéré. Je suis grand et mince alors qu’est ce qu’ils veulent de plus ? », ironise-t-il. Mais les choses vont s’arranger grâce à ses idoles qu’il côtoie aux Bains-Douches à Paris. Elles ont pour nom Grace Jones, Paco Rabanne, Katoucha qui est devenue une amie proche… Le bouche à oreille fonctionne et lui permet de travailler sur la première campagne européenne de Gap. Engrangeant les expériences, il commence à tracer sa route. « Etre passé par Saint Laurent et Dior en tant que mannequin m’a permis de mieux apprécier le confort et la qualité des vêtements ainsi que la manière dont on crée une collection. La danse, quant à elle, m’a aidé pour la création car je connais bien le corps », explique-t-il. L’idée de devenir styliste fait son chemin de défilés en casting. En fait, il profite des temps d’attente pour dessiner des croquis en cachette.
Le virage en 1992 : le styliste autodidacte présente sa première collection
Il lance sa première collection en 1992 à Paris avec des robes à pois. « Des pois en entrée, en plat de résistance et en dessert, en tout plus d’une centaine de robes ! Rétrospectivement seules deux ou trois pièces tenaient la route mais j’étais fier de ce que j’avais montré », dit-il. Son style allie fluidité, sobriété et sensualité. C’est qu’Imane Ayissi a son idée sur la question. « La fluidité, c’est la liberté de mouvement. Le vrai luxe, c’est la sobriété. La sensualité, c’est une manière de plaire aux autres », dit-il. Imane a choisi de calquer ses défilés sur la semaine de la Haute couture car il veut suivre ses maîtres que sont Alaïa, Lanvin ou Saint Laurent. « Je ne sais pas si je fais de la haute couture ou de la petite couture mais je passe beaucoup de temps à faire mes pièces », plaisante Imane. Une manière d’introduire les réalités africaines dans le débat.
Le styliste militant veut transmettre aux jeunes générations

 
En effet, si quelques clientes africaines se détournent des marques de luxe occidentales au profit des créateurs africains, ce phénomène reste marginal. On est également loin du soutien massif du côté des instances du continent. « Les Africains doivent encourager la jeune génération de stylistes et mettre en place des instituts de formation », déclare-t-il. Engagé, Imane se rend dans de nombreux pays du continent pour partager bénévolement son expérience au sein d’associations et de fondations. Au Cameroun, il travaille en tant que formateur et directeur artistique auprès d’Yves Eya’a, directeur du Centre des Créateurs de Mode du Cameroun et organisateur du Forum des métiers de la mode et du design. « J’ai suivi toute une classe. Je les ai accompagnés pour monter une collection, aborder les clients et la presse afin qu’ils sachent comment se comporter », dit-il. Il intervient également en France à l’Institut français de la mode (IFM) depuis trois ans et à l’International fashion academy (IFA Paris). Sans doute là l’un des secrets de sa longévité. « Etre capable de se remettre sans cesse en question » lui paraît le meilleur élixir. En attendant, il n’est certes pas encore « Membre invité » de la Chambre syndicale de la Haute couture parisienne mais il porte haut et fièrement les couleurs de la diversité africaine. Au regard de la richesse du Continent en la matière, gageons qu’Imane saura garder son inspiration dans la création de ses modèles.

 

Source :

http://www.camer.be/35069/11:1/france-francecameroun–imane-ayissi-un-afro-militant-dans-la-mode.html

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