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À LA RENCONTRE DE SIDIKI BAKABA, CINÉASTE IVOIRIEN

Acteur, comédien, metteur en scène, réalisateur, formateur, Sidiki Bakaba est à 70 ans un artiste qui ne s’use pas. Il fait partie des premiers témoins de ce qui allait devenir le Fespaco, et dit devoir au Burkina Faso, sa popularité. Le samedi 02 mars, à la clôture du festival du cinéma africain, il s’est vu confier la tâche de décerner le prix du meilleur acteur. Un prix qu’il aura contribué à instaurer. C’est ce qu’il nous a confié, entre autres confidences, dans l’entretien qu’il nous a accordé le samedi 23 février, quelques jours avant d’être fait chevalier par l’État burkinabè, dans l’ordre du mérite des arts, de la communication et des lettres.

NegroNews : Le Fespaco a aujourd’hui cinquante ans. Qu’est-ce que cela vous inspire, vous qui êtes un des pionniers du cinéma ivoirien ?

Sidiki Bakaba : Ça m’inspire beaucoup de choses. J’ai eu la chance d’assister, comme mes aînés (beaucoup sont partis), à leur première rencontre ici. Mais je n’étais pas un festivalier. On était de passage pour jouer une pièce, Monsieur Thôgô-Gnini de Bernard Dadié. C’était en 1969. J’étais plutôt un homme de théâtre, c’est ma formation de base. Et après, je me suis intéressé à voir les premiers films africains, que ce soit ceux de Soumanou, de Sembène ou de Désiré Icarré. Tous ces premiers films, j’ai appris à les voir au Fespaco. Et c’était un émerveillement pour moi de les voir. Et plus tard, bien sûr, j’allais venir avec un film Bako, l’autre rive. Ainsi de suite, et depuis, je n’ai plus jamais manqué d’édition. Que j’ai un film ou pas, j’étais toujours invité. Je suis devenu une sorte de mascotte, toujours à cheval. Le cinéma, lui, je l’ai vu se développer, j’ai des films extraordinaires se faire. Et d’édition en édition, on assiste à une amélioration au niveau de la qualité du film. Ça suscitait beaucoup de passion. C’était une fête, la fête de l’image, la fête du septième art.

NN : Comment définiriez-vous l’influence que le Fespaco a eu sur vous ?

SB : Je dirais que si je suis devenu star, je le dois au Burkina Faso. Curieusement, c’est par là que ça déclenché. Et quand j’arrivais, il y avait plein de gens qui venaient de partout, à l’hôtel pour me voir. Je suis devenu en quelque sorte une star, la première star du cinéma africain grâce au Fespaco. Et si j’étais populaire en Côte d’Ivoire par le théâtre ou par les films qui venaient, c’était chez moi. J’ai joué d’ailleurs dans trois films qui ont été tournés au Burkina Faso. Donc, j’étais très souvent ici, pas seulement pour les Fespaco, mais avec des réalisateurs qui préféraient tourner. Et quand je passe dans la rue, les vendeuses d’oranges ou de galettes m’appelaient pour m’en donner, des admirateurs qui me donnaient ce qu’ils avaient de plus cher parce qu’ils m’ont vu au cinéma. J’ai pu avoir ainsi l’opportunité, avec Philippes Sawadogo quand il était secrétaire du Fespaco, de faire venir ceux qui m’ont inspiré comme acteur, Douta Seck… En fait, tous ces acteurs qu’on écoutait à la radio, à Abidjan, j’ai pu les faire venir au Fespaco une année, Philippes Sawadogo, pour comprendre que l’acteur avait sa place. Tout cela évoque beaucoup de choses pour moi. Et je vois aujourd’hui qu’il y a eu du chemin.

NN : Vous faites du cinéma, en tant qu’acteur et réalisateur, depuis plus de 30 ans. Comme de nombreux autres cinéastes africains, vous avez sans doute caressé le rêve de remporter un Étalon d’or. Chose qui ne s’est pas encore produite. Cela ne vous a-t-il pas découragé à un moment donné ?

SB : Je ne sais pas s’il existe un acteur qui a autant de prix que j’ai eu dans ma vie. J’ai même eu un prix à Ouagadougou quand j’ai fait mon premier long-métrage, Les Guérisseurs, j’ai eu un prix spécial Voix d’espoir. Et en 2001, j’ai fait un documentaire en Amérique du Sud, et ça été primé à Ouaga. Mais non, je suis quelqu’un de comblé. Les prix, ça s’aligne, ça ne s’arrêtent pas. J’ai eu tellement des prix que je me dis : « Est-ce que je les ai autant mérités ? ». Et je viens de quitter la Côte d’Ivoire où j’ai été reçu par André Kamaté qui a écrit deux livres sur ma carrière déjà, et organisé un colloque international où il y avait 34 professeurs d’université venus à Abidjan… C’est des choses qu’on n’a pas l’occasion de voir de son vivant. Et je viens de l’avoir. J’ai été comblé. Que je n’aie jamais eu l’Étalon d’or à Ouaga, ça ne me décourage pas. J’étais content plutôt d’avoir pu imposer qu’on prenne en compte les acteurs. C’est ma petite pierre que j’ai apportée à la construction du cinéma africain. J’ai formé en Côte d’Ivoire presqu’une cinquantaine d’acteurs qui sont aujourd’hui dans tous les films ivoiriens. Il y a un de mes acteurs qui m’a dit une chose. Il avait dix-sept ans quand je l’ai reçu. Un jour, il m’a une chose : « J’ai envie d’aller, un jour, à Hollywood, pour aller arracher un Oscar pour venir te l’apporter ».

NN : Après toutes ces années, avez-vous des projets cinématographiques ou théâtraux en perspective ?

SB : Je n’ai pas arrêté. Je suis parti de la Côte d’Ivoire en 2011, après la crise. À peine arrivé, il y a un réalisateur qui a écrit un film magnifique pour moi, qui s’appelle Esclave et courtisanes, très beau. Et juste après, on a enchaîné sur un film tourné en Chine par un réalisateur chinois, avec Mike Tison. Et je viens de finir un tournage, en janvier dernier, un film qui s’appelle Yafa (le pardon) du même réalisateur de Shialara, avec qui j’avais tourné Héritage perdu au Gabon et Cameroun. Je n’ai pas arrêté ma carrière, je continue d’écrire moi-même. Je passe derrière et devant la caméra. Je suis un comédien comblé. Et parlant de projet, il y a le projet d’un film à partir d’une pièce de théâtre, Combat de nègre et de chiens, qui a été un best-seller en France et dans laquelle je jouais un des principaux rôles. Trente-quatre ans après, il y a un réalisateur qui vient d’adapter ça pour cinéma. Et je vais jouer le même rôle que j’ai joué il y a trente-quatre ans. C’est un défi. Physiquement, c’est impensable.

NN : En gros, il n’y a pas de retraite pour Sidiki Bakaba ?

SB : Je crois que ce que je fais est un métier où il n’y a pas de retraite. Ma retraite, c’est quand j’aurai tiré ma révérence. J’ai vu des comédiens jouer à 90 ans. Et je suis un peu un comédien sans âge.

NN : Beaucoup de jeunes se lancent dans le cinéma et le théâtre avec plein de rêves, mais ils y rencontrent des obstacles. Que pourriez-vous leur dire pour les motiver à aller de l’avant ?

SB : Vous savez, j’ai formé beaucoup de comédiens, notamment Adama Dahico, Mike Danon. Ce que je leur donne comme conseil, c’est : « Travaillez, travaillez, travaillez ». C’est un métier qu’on ne finit jamais d’apprendre.

Propos recueilli par Stéphane BAI

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